jeudi 25 juillet 2013

Julien Blanc-Gras et les people

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Des jeunes auteurs français intéressants, drôles et pertinents, il faut bien le dire, c’est rare. Julien Blanc-Gras, sans être une pointure stylistique, un analyste très fin, demeure un romancier atypique dans le paysage actuel. S’attaquant au libéralisme et à ses déclinaisons, l’homme prend un malin plaisir à détricoter, à travers des écrits singuliers, son époque.

Dans Comment devenir un dieu vivant, Julien Blanc-Gras imagine une fin du monde inéluctable. Avant l’avènement de celle-ci, le narrateur, futur dieu vivant, met en place un discours qui ne tardera pas à devenir un phénomène de mode. L’idée, non pas empêcher la fin du monde mais l’accompagner, qu’elle se fasse « en douceur ». Dans l’extrait ci-dessous, le romancier propose une lecture, pas foncièrement originale, mais assez pertinente, des people. Des divinités permettant l’instauration de rites fédérateurs et rassurants.

« Dieu est rusé. Son génie, c’est de ressusciter sous des formes incongrues à la faveur du chaos (sectes, kamikazes, papes allemands…). Prenez le peopolisme, cet avatar clinquant de la pop culture. Le culte le plus flagrant de l’époque. Chaque semaine, les magazines où l’on apprend que Johnny Deep aime le brocoli sont plus lus que la Bible ou le Coran. Cherchez : quel leader religieux est plus influent que Madonna ? Le peopolisme réenchante un monde qui en a besoin, lui propose une magie, certes grotesque, mais rudement efficace. A travers des icônes et des rites, la foule exaltée crée son lien avec une sphère supérieure. Les people, c’est un clergé qui habite l’Olympe. Nos dieux ont recours à la chirurgie esthétique et ils mangent bio. Parfois, ils sauvent un enfant. Le reste du temps, ils nous racontent des histoires qui apaisent les nôtres. »

mercredi 10 juillet 2013

Bernanos et la spéculation boursière

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Redirection en htm
Bernanos est un écrivain fascinant pour sa trajectoire, du franquisme à l’anti-franquisme pour finir dans les bras de la religion, voire du mysticisme. J’en avais parlé lorsqu’il était question de l’uniformisation des mœurs.

La facette que j’aimerais aujourd’hui explorer n’est pas celle du mystique, ou de l’homme ayant une grande foi dans la religion et ses dogmes, mais celle du politicien ou de l’économiste. De grands mots qui peuvent prêter à rire lorsque l’on sait que Bernanos reste avant tout un écrivain, qu’il n’a pas été formé par quelques écoles prestigieuses.


Il n’en demeure pas moins que Bernanos, en son temps, avait déjà senti le danger de la spéculation bancaire (tout comme Zola l’avait évoqué dans L’Argent, encore avant lui. Preuve que le clivage "gauche-droite" n'a aucun sens et que des hommes avec des sensibilités politiques différentes peuvent se retrouver sur certains points cruciaux, dans l'intérêt général.). Dans son livre La Grande peur des bien-pensants, Bernanos analyse de la pensée de Drumont, il évoque dans un passage le problème de la spéculation qu’il juge sérieux et développe sa pensée pour démontrer qu’il ne s’agit pas là d’une attaque des riches (credo idiot et simplificateur au possible de l’extrême-gauche actuelle), de grandes sociétés françaises furent riches et développèrent des régions économiquement parlant en embauchant, mais le pouvoir que confère la spéculation.

Bernanos oppose ainsi deux notions : le pouvoir et la propriété. L’écrivain croit en la propriété, il la respecte. Chacun peut posséder : un bout de terre, une maison, etc. La spéculation sort du cadre de la propriété puisqu’elle se transforme en pouvoir déstabilisateur. Déstabilisateur pour les nations et pour les peuples.


« C’est une amère plaisanterie que de prétendre qu’en parlant ainsi, j’attaque la Propriété. J’accepte très bien, et la plupart des ouvriers acceptent très bien avec moi, qu’il y ait des millionnaires. Seulement, la question change lorsqu’on se trouve en présence de gens qui, comme les Camondo, les Cahen d’Anvers, les Bamberger, les Ephrussi, les Heine, les Mallet, les Bichoffsheim, ont 200, 300, 600 millions acquis par la spéculation, qui ne se servent de ces millions que pour en acquérir d’autres, agiotent sans cesse, troublent perpétuellement le pays par des coups de Bourse.

Ce n’est plus une propriété, c’est un pouvoir, et il faut le supprimer quand il gêne. Le comte d’Armagnac était incontestablement propriétaire par droit d’héritage du comté d’Armagnac, et Louis XI n’a pas hésité une minute à lui confisquer son comté. Louis XI n’admettrait pas plus qu’un Rotschild ait trop de milliards qu’il n’admettait qu’un seigneur féodal eût trop d’homme d’armes chez lui. Le pouvoir d’un financier qui a trois milliards est autrement redoutable que le ne serait ce pouvoir d’un seigneur disposant de quelques milliers d’homme d’armes. ».

Bernanos a subtilement compris le pouvoir de la spéculation, pouvoir hautement plus redoutable que celui des armes. Les forces d’attaque ne portent plus de cottes de mailles mais sont des traders spéculant sans cesse, s'enrichissant sur la dette des états (Goldman Sachs avec la Grèce), obligeant des peuples à vendre des parties de leur terre (les îles grecques vendues aux plus offrants comme de riches émirs). Bernanos nous montre par une telle sortie que l’on peut être croyant et garder les pieds profondément ancrés dans la réalité la plus immédiate.


Bernanos, La Grande peur des bien-pensants

vendredi 5 juillet 2013

Naissance officielle du bréviaire et projets

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Le bréviaire prend petit à petit forme dans le monde de l'édition digitale. Tout d'abord, je tiens à vous annoncer que je suis officiellement au Répertoire des Entreprises et des Etablissements (SIRENE). Je viens de recevoir aujourd'hui un certificat d'inscription. Numéro de Siret, code APE définissant l'activité principale (Edition de livres), la totale. Bref, je suis très fier car ce petit papier est le commencement, j'espère, d'une belle aventure.

Du coup, j'en profite pour faire le point sur les projets. Le bréviaire va s'organiser autour de collections afin de ne pas vous livrer en vrac des livres numériques. Je compte publier des auteurs contemporains en vous proposant leur premier roman, recueil de poèmes, essai, etc. Le premier roman s’intitule Bad Bite, une histoire délirante et drôle d'un homme qui va vivre une histoire tragique avec sa maîtresse. De cette terrible aventure, il en sortira machiavélique et stratégique, profitant de sa transformation pour se livrer plein et entier à la société du spectacle, véritable bête de foire. Je n'en dis pas plus, je compte tout de même vous livrer des extraits bientôt. Difficile de définir une date, je pense publier ce roman début août si possible. Il me reste cent pages à lire avant le renvoi à l'auteur pour les corrections. Après, il faudra bien entendu proposer des versions lisibles sur le plus de supports possibles. Bref, début/mi-août, ça me semble faisable.

Sinon, un autre romancier est prévu pour la fin de l'année. Je risque d'avoir son manuscrit en septembre. C'est très étonnant, entre la poésie et la poésie. Un soupçon de Céline et de moraliste pour la pensée de l'oeuvre, ça risque de détoner.
Enfin, en dehors de cette première collection "premiers romans" (titre provisoire), je vais vous proposer une collection intitulée Pulps. On y trouvera des romans de science-fiction ou de polars hard-boiled traduits, pour la première fois, de l'américain vers le français. 
Il y aura des romans policiers : The Death of a celebrity d'Hulbert Footner et The Woman Aroused d'Ed Lacy (du détective hard-boiled et de la femme fatale). De la science-fiction avec Interplanetary Hunter d'Arthur K. Barnes, l'histoire d'une jeune demoiselle parcourant l'espace pour collecter des espaces rares pour le zoo de Londres (kitsch à souhait, joyeusement loufoque). Et The Time Axis d'Henry Kuttner.
J'évoquerai tout cela plus en détail plus tard. Donc, quatre romans en cours de traduction, deux romans originaux sur le gril. 

J'oubliais, je suis également en contact avec des illustrateurs pour proposer des versions enrichies des œuvres (un poil plus cher). Des illustrations en couleurs, une vingtaine à chaque fois. Il y aura probablement le dessinateur Ima et la jeune illustratrice Marine Calandra. Ils travailleront probablement (ça se dessine donc...) sur des classiques oubliés. Ces derniers, œuvres anciennes de qualité mais oubliées, constitueront une autre collection. Belle mise en page, lisible sur plein de supports et avec des illustrations. Pour le moment, j'ai listé Mémoire d'un suicidé de Maxime du Camp, beau roman romantique sur un jeune homme plein d'illusions et de tourments expliquant via des notes les raisons de son suicide. Et Le Péril bleu de Maurice Renard, de la science-fiction française absolument étonnante (mélange science-fiction et folklores régionaux). 


A bientôt

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mardi 2 juillet 2013

Victor Hugo, la misère et les politiciens

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Il est toujours délicat de tenter de résumer Victor Hugo. Romancier, poète, polémiste, Hugo s’est imposé dans le paysage littéraire français de son époque du fait de son talent, c’est indéniable, mais également de la masse de travail abattue. Hugo est grand car Hugo écrit énormément, écrit sur tout et passe les décennies en changeant de visage.

Le Hugo romantique de Ruy Blas n’est plus le Hugo polémique de Napoléon le petit et pas encore celui des grandes fresques sociales comme Les Misérables. Le Hugo dont je veux vous parler aujourd’hui est proche du Hugo de Valjean et Cosette. 


Dans L’Homme qui rit, le romancier s’essaie un peu à la peinture réaliste de la société anglaise de la fin du XVIIème, début XVIIIème. Mais là n’est pas l’unique but d’Hugo. Hugo n’est pas Zola, il ne compile pas ni ne traîne dans les rues de la Goutte d’Or pour retranscrire l’odeur du peuple dans ses romans, Hugo est un éternel romantique, plus amoureux du lyrisme que de l’exactitude des sciences.

Du coup, quand Hugo parle du peuple, il ne cherche pas comme Zola à expliquer scientifiquement les conséquences par des causes (le fameux déterminisme qui repose sur l’hérédité et le milieu que Zola détaille dans Le Docteur Pascal) mais à s’emporter contre des conséquences qu’il observe et déplore. Hugo reste un sentimental, sa vision est toujours un peu grossière mais elle est sincère, naïve mais sincère.



Si Zola raillait Hugo dans Le Roman expérimental, il ne faudrait pas jeter trop rapidement la critique politique d’Hugo. En effet, la force du romancier, c’est son emphase. Sa capacité à atteindre par ses mots la grandiloquence. Le discours de Gwynplaine à la chambre des Lords à la fin du roman L’Homme qui rit symbolise parfaitement son goût pour les envolées lyriques, l’alliance du cri de révolte et de sa poésie, parfois jugée ampoulée par certains. 

Gwynplaine, orphelin dont le visage a été mutilé (un sourire permanent trône sur son visage) apprend après avoir vagabondé tout en jouant dans une troupe itinérante qu’il est un noble. Accédant au trône en Angleterre, il s’élance à la chambre des Lords dans une défense du peuple, une attaque frontale des hommes politiques qui lui font face (imbus d’eux-mêmes, inefficaces) et une dénonciation de la misère.



La sincérité d’Hugo est sa force même si son discours ne se veut pas technique ni rigoureux. C’est un cri. Un cri que l’on pourrait renouveler tant ces Lords que Gwynplaine tance font penser à nos ventripotents français ou européens. Ces députés européens qui pointent le matin pour toucher leur enveloppe avant de repartir aussi sec se soucient-ils encore du peuple ? Nos députés français qui veulent réformer les régimes spéciaux, toujours à cause de cette sacro-sainte crise et dette nationale, mais jamais en appliquant la rigueur à leur régime font-il encore corps avec le peule qu’ils représentent ? Encore aujourd’hui, il y a de quoi être en colère, à cette époque où la rigueur sévit et détruit, à l’heure où la Grèce en arrive à vendre ses îles, ses ports, à baisser le salaire de ses fonctionnaires. Hugo écrirait probablement, s’il était encore de notre monde, de vibrants plaidoyers pour défendre le peuple. 

« - Alors, cria-t-il, vous insultez la misère. Silence, pairs d’Angleterre ! juges, écoutez la plaidoirie. Oh ! je vous en conjure, ayez pitié ! Pitié pour qui ? Pitié pour vous. Qui est en danger ? C’est vous. Est-ce que vous ne voyez pas que vous êtes dans une balance et qu’il y a dans un plateau votre puissance et dans l’autre votre responsabilité ? Dieu vous pèse. Oh ! ne riez pas. Méditez. Cette oscillation de la balance de Dieu, c’est le tremblement de la conscience. Vous n’êtes pas méchants. Vous êtes des hommes comme les autres, ni meilleurs, ni pires. Vous vous croyez des dieux, soyez malades demain, et regardez frissonner dans la fièvre votre divinité. Nous nous valons tous. Je m’adresse aux esprits honnêtes, il y en a ici ; je m’adresse aux intelligences élevées, il y en a ; je m’adresse aux âmes généreuses, il y en a. Vous êtes pères, fils et frères, donc vous êtes souvent attendris. Celui de vous qui a regardé ce matin le réveil de son petit enfant est bon. Les cœurs sont les mêmes. L’humanité n’est pas autre chose qu’un cœur. Entre ceux qui oppriment et ceux qui sont opprimés, il n’y a de différence que l’endroit où ils sont situés. Vos pieds marchent sur des têtes, ce n’est pas votre faute. C’est la faute de la Babel sociale. Construction manquée, toute en surplombs. Un étage accable l’autre. Ecoutez-moi, je vais vous dire. Oh ! puisque vous êtes puissants, soyez fraternels ; puisque vous êtes grands, soyez doux. Si vous saviez ce que j’ai vu ! Hélas ! en bas, quel tourment ! Le genre humain est au cachot. Que de damnés, qui sont des innocents ! Le jour manque, l’air manque, la vertu manque ; on n’espère pas ; et, ce qui est redoutable, on attend. Rendez-vous compte de ces détresses. Il y a des êtres qui vivent dans la mort. Il y a des petites filles qui commencent à huit ans par la prostitution et qui finissent à vingt ans par la vieillesse. Quant aux sévérités pénales, elles sont épouvantables. Je parle un peu au hasard, et je ne choisis pas. Je dis ce qui me vient à l’esprit. Pas plus tard qu’hier, moi qui suis ici, j’ai vu un homme enchaîné et nu, avec des pierres sur le ventre, expirer dans la torture. Savez-vous cela ? non. Si vous saviez-ce qui se passe, aucun de vous n’oserait être heureux. »

L’Homme qui rit, Victor Hugo 


 
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