jeudi 20 décembre 2012

Erasme et l'éducation

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Le mouvement culturel que l'on nomme humanisme est en vérité difficile à cerner. Il est compliqué de donner un début et une fin à ce courant mais également de lister les personnes s'en réclamant. Toujours est-il que durant la Renaissance, plusieurs savants pensèrent qu'ils avaient un rôle à jouer sur le destin politique des nations.



Comment modifier le pouvoir politique  ? Une des possibilités fut d'instruire les puissants. Les humanistes pensaient qu'en inculquant le savoir aux princes et aux rois, le monde n'en serait que meilleur. On retrouvera cet optimisme au XVIIIème siècle avec les philosophes, comme Voltaire (qui n'en était pas vraiment un d'ailleurs), qui se rendaient aux tables des princes.

Mais revenons au XVIème siècle et à cet optimisme politique. Il est clair que cette belle idée n'en demeure pas moins fragile. En effet, la grande limite sur laquelle butèrent les humanistes demeure l'homme lui-même. Le roi instruit peut continuer à agir en despote. Au final, à part son propre savoir, quel est le frein de son expansion ? De plus, l'homme est un animal politique qui peut connaître mais non pas reconnaître. Le roi peut être un savant mais ne pas reconnaître comme lois supérieures des principes qui semblent pourtant vertueux.

Cette pratique postérieure ne doit pas faire oublier le grand travail des humanistes dans la rédaction de manuel. Certes, plusieurs principes sont aujourd'hui démodés (la médecine a fait des progrès par exemple) mais l'ensemble de ces bréviaires d'instruction demeurent le témoignage d'une grande et noble entreprise intellectuelle. Prenons ici l'exemple du Traité de civilité puérile d'Erasme. Voici quelques extraits de ce court traité. Certains individus, jeunes ou vieux, devraient en prendre de la graine.

Tout d'abord le préambule : 

"L'art d'instruire l'enfance consiste en plusieurs parties, dont la première et la principale est que l'esprit encore tendre reçoive les germes de la piété; la seconde, qu'il s'adonne aux belles-lettres et s'en pénètre à fond; la troisième, qu'il s'initie aux devoirs de la vie; la quatrième, qu'il s'habitue de bonne heure aux règles de la civilité."

Puis quelques extraits :

"Si le met ne convient pas à ton estomac...remercie en souriant : c'est la manière la plus polie de refuser"

"Enfin, si quelqu'un, par ignorance, commet une maladresse, il est mieux de ne pas le remarquer que d'en rire."

"Il est impoli d'interrompre quelqu'un avant qu'il ait achevé son propos."

"La modestie, voilà ce qui convient surtout aux enfants" (principe à répéter à tous les parents)

"Si l'on se mouche avec deux doigts et qu'il tombe de la morve par terre, il faut poser le pied dessus. Il n'est pas convenable de souffler bruyamment par les narines, ce qui dénote un tempérament bilieux."

"Le visage doit exprimer l'hilarité sans subir de déformation ni marquer un naturel corrompu"

Enfin plus drôle : 

"Les dents propres...les laver avec de l'urine est une mode espagnole...sers-toi d'un brin de lentisque, d'une plume, ou de ces petits os qu'on retire de la patte des coqs et des poules."

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mercredi 12 décembre 2012

Roman graphique - L'ascension du haut mal, de David B.

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Il y a des romans graphiques qui vous marquent dès la première lecture, L’Ascension du Haut Mal de David B. en est un bon exemple. Dans ce livre, le narrateur, Pierre-François, qui deviendra dessinateur et auteur de bandes dessinées, raconte son passage de l’enfance à l’âge adulte mais surtout le long périple de son frère, Jean-Christophe, atteint d’épilepsie.
Ce roman graphique foisonnant est tout d’abord un descriptif minutieux et ahurissant d’une époque et des différentes approches médicales d’un problème. En effet, les parents de Jean-Christophe ne cesseront de chercher des remèdes au mal dont souffre leur enfant. Après la médecine générale occidentale, dont le projet était de l’abrutir à coup de médicaments, le couple se dirige alors vers des médecines orientales, des traitements macrobiotiques voire des mouvements ésotériques où la médecine se double d’un nouveau mode de vie en société (parfois proche de la secte). 
Le désespoir des parents est progressif, au fur et à mesure qu’ils constatent que ces traitements n’apportent aucune réelle amélioration. A côté de cette chronique des médecines parallèles, on découvre un monde onirique peuplé de références fantastiques comme l’histoire du Golem.

C’est par cet univers fictif que le narrateur, et auteur David B., s’échappa d’un quotidien familial lourd.  La création, en l’occurrence de bandes dessinées, comme la possibilité de magnifier la noirceur, de surmonter les difficultés de la vie. Se diriger vers les mythes, les folklores pour trouver des réponses à ses questions. 
Le récit ne manque pas de cruauté et de dureté. Non pas graphique, pas de gore ici, mais certaines situations penchent vers l’impudique (la stérilité que l’auteur découvre à l’âge adulte, des rapports violents avec ce frère malade) sans jamais y tomber. On en ressort secoué mais grandi, à l’instar de David B.
Pour finir, on ne peut qu’admirer le travail graphique de David B., par ailleurs co-fondateur de L’Association, qui sut imposer son style très rapidement. Un mélange de fantastique, d’onirisme et de représentations mystiques puisées dans d’anciennes civilisations. Un patchwork à l’image de beaucoup d’hommes d’aujourd’hui, en quête d’union et de sens, parfois au-delà de la culture initiale. 

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mardi 13 novembre 2012

Michel Clouscard et le dressage du corps à la consommation

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Michel Clouscard est un penseur, résolument marxiste, du XXème siècle relativement tombé dans l'oubli. Néanmoins, certains intellectuels se réapproprient son oeuvre, se posent comme des continuateurs. Au lieu de s'attarder sur ces nouveaux porteurs de flambeau, retournons au texte et à la pensée, dense et très exigeante, de Clouscard.



Dans son livre Le Capitalisme de la séduction, Clouscard propose une analyse de la société de consommation. Il ne s'agit pas d'une critique frontale, à la manière d'un pamphlétaire, critique forcément réductrice et subjective, mais d'une analyse rigoureuse. On peut reprocher à Clouscard son utilisation systématique d'une grille de lecture marxiste (comme pour la musique rock par exemple) mais bien souvent le penseur fait mouche. Il ne s'agit pas de la parole d'un sophiste mais bien d'un philosophe qui cherche à comprendre et non à fustiger, à regarder et à conceptualiser.

Les extraits suivants cherchent à expliquer le dressage, dès l'enfance, de l'homme afin qu'il devienne un bon consommateur. Sous couvert de liberté, de joie, de spontanéité (des valeurs inattaquables en ces temps festifs comme le décrira plus tard Philippe Muray), vieille stratégie que l'on retrouve par exemple dans la politique des radars des différents gouvernements (pour des questions de santé publique, on multiplie les radars), la société amène lentement le citoyen à devenir un bon consommateur. Le conditionnement est parfait, les valeurs propres à la société de consommation se diffusent admirablement (il ne s'agit en aucun cas des valeurs de débrouille et de bricolage, ou une consommation qualitative sur le plan intellectuel), la sacralisation de l'enfance est le cheval de Troie d'une consommation en roue libre (l'achat pour l'achat, et la dépense inutile, exclusivement ludique). Ce qui peut sembler une évidence pour beaucoup mais qui, au regard des comportements de la population, mérite un petit rappel.

"Flipper et juke-box sont des machines qui prolongent l’univers magique de l’enfance dans la société adulte. Ils représentent un seuil et un passage, la fin de l’enfance et le commencement de l’adolescence. Leur usage est aussi une décisive promotion sociale : il signifie l’accession au statut de consommateur. La fonction ludique investit la société industrielle et la soumet à ses valeurs."

"Cette magie n’est pas le génie de l’enfance. Bien au contraire. Elle est celle de l’idéologie néo-capitaliste  qui s’incarne dans l’enfant et qui devient alors le génie de l’enfance capitaliste. Nous sommes là au cœur de la « société de consommation », du premier dressage du corps à la consommation."

"On a voulu opposer la spontanéité et le naturel de l’enfant à la « société de consommation » de l’adulte. C’est le contraire qui est vrai : l’enfant s’abandonne sans aucune retenue à l’univers de la consommation, tandis que l’adulte – lorsqu’il est producteur – peut lui résister."

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mercredi 7 novembre 2012

Ecriture - Roman "Le gout de rien" : chapitre 2 : "Début de stage"

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Après la publication du premier chapitre, "Prise de conscience", voici le second chapitre du roman Le Goût de rien, en cours d'écriture. Son nom "Début de stage".

Les fonctionnaires sont un petit peu comme les livres d'une bibliothèque. Ce sont les plus hauts placés qui servent le moins.
                          Paul Masson
  
 

Chapitre II - Début de stage

Le plus dur dans le stage, c’est l’avant. Avec son système bureaucratique post-soviétique, l’administration de nos chères universités a de quoi rendre fou. Se frotter un peu au monde du travail, deux/trois mois, à peine, nécessite déjà une débauche d’énergie assez incroyable.
Demande de convention, remplissage, signature du professeur référent, trouver une entreprise, soumettre la feuille signée, décrocher un accord écrit, retour à la case départ, attente de plusieurs mois, etc. Avec une organisation centralisée et décentralisée, rapide et lente, ordonnée et désordonnée à la fois, nos lieux de savoirs donnent souvent l’impression de tout faire pour nous empêcher de travailler. Travailler pour de vrai, je ne parle pas ici de ce microcosme puéril où s’ébattent joyeusement quelques professeurs spécialisés en quelques matières occultes.
Avec mes études, littéraires de surcroît, ma valeur sur le marché du travail approchait le zéro absolu. Du coup, la perspective d’un stage, même de quelques mois, devenait pour moi le symbole d’une ouverture salutaire. Enfin, j’allais sortir de ma léthargie étudiante pour devenir quelqu’un.
Anticipant un peu le moment fatidique, j’avais commencé, bien avant l’annonce officielle du stage, à chercher une bibliothèque capable de m’accueillir. Et si possible de m’intéresser. Seulement, chaque coup de téléphone prenait l’allure d’une fuite en avant kafkaïenne. On me faisait languir de longues minutes, les responsables ne répondaient jamais et quand j’obtenais enfin quelqu’un digne de confiance, le petit grade à l’épaulette, il me renvoyait en plein visage un discours abscons de fonctionnaire.
Demande de convention, non. Une convention, oui. Seulement pour avoir l’une il faut l’autre et l’ordre imposé n’est pas celui accepté. Du coup, je tentais en piètre rhétoricien que j’étais de convaincre mon interlocuteur, aussi borné que mal élevé la plupart du temps, du non-fondé de son raisonnement.
Peine perdue, on ne discute pas avec un fonctionnaire. Il exécute ou pire, il esquive. Après une bonne dizaine de tentatives avortées, je tombai enfin sur une bonne âme. Compréhensive et logique, deux traits de caractère globalement absents chez cette frange de travailleurs, elle me proposait tout simplement un rendez-vous.
Oui, un simple rendez-vous. Avec une journée, une heure. Le jour J, je découvris avec un plaisir non dissimulé la finesse de ma future responsable. Femme mûre, les cheveux presque tous blanchis, encore coquette malgré son âge, elle me décrivit mes futures tâches et avança même quelques idées pour le mémoire sur lequel je devais plancher. La semaine suivante,  je revins la voir avec les papiers nécessaires pour conclure au plus vite ce premier entretien.
***
Travailler en bibliothèque nécessite d’être en contact, quelques heures chaque jour, avec le public. Le problème, c’est que là où j’étais, le public n’était pas très porté sur la culture. En pleine zone commerciale, dantesque, on trouvait plus de beaufs, de banlieusards et autres touristes égarés que des férus de livres.
Du coup, je déchantai rapidement lorsque je pris conscience de la qualité de nos fréquentations. Dès la première semaine, j’eus à traiter un cas. Bien installé dans mon fauteuil molletonné, j’attendais patiemment l’arrivé d’un curieux souhaitant s’inscrire. Faute de « clients », terme à bannir dans ce milieu, je surfais gentiment sur quelques sites inutiles.
Du coin de l’œil, je vis s’avancer vers moi, la mine renfrognée et le pas rapide, une jeune femme brune. Dans les trente ans, maghrébine. A peine arrivée à mon niveau, elle saisit d’un geste vif et brutal l’écran de mon ordinateur pour le tourner vers elle.
Sur le coup, ma conscience professionnelle vacilla. J’hésitai entre l’hypocrisie du travail, mon beau sourire de faux-cul, et mon instinct animal qui me poussait à remettre à sa place cette conne. Mon geste fut forcément hybride. Arrêtant immédiatement son geste inconsidéré, ma main droite vint bloquer l’écran tandis que mon visage affichait à grand renfort de contractions une mine enjouée et bienveillante.
« Oui ? », je ne savais quoi répondre de plus pour ne pas paraître trop rustre. Ses yeux affolés traduisaient son manque de lucidité. On aurait dit une camée à mi-chemin entre la féministe hyper impliquée et la gauchiste attardée. Ou un mélange des deux.
-       « Vous l’avez vu ? »
-       « De quoi ? »
-       « Ben si, vous pouvez le voir. Vous l’avez vu. »
-       « Vous avez un problème avec un ordinateur ? ». Réponse formatée que l’on sort lorsqu’on ne comprend pas la question.
-       « Vous pouvez aller sur Internet ici, avec votre poste. »
-       « Heu…oui ». La question me semble atrocement stupide, peut-être parce qu’elle l’est.
-       « On peut aller sur Internet d’ici. »
-       « …oui ». Je nage en plein dialogue absurde, à la Ionesco. Je ne comprends absolument rien de ce que cherche à me dire ma foldingue. Elle me parle d’ordinateur, d’Internet, de voir, pas voir. Où veut-elle en venir ?
-       « On peut aller sur Internet alors. »
-       « Oui, enfin nous, les bibliothécaires. Pour les usagers, vous avez les postes de recherche. Il y en a quatre », je commence à esquisser un geste de la main, déblatérant comme un robot mon discours de base tandis qu’elle me coupe à nouveau.
-       « Donc vous l’avez vu…mon compte lecteur ». 
-       « Heu…non ». Je rigole, plus nerveusement qu’autre chose, je viens de comprendre que ma foldingue l’est vraiment. Une authentique parano. De toute façon, on ne peut pas consulter les comptes des lecteurs…enfin c’est interdit, et puis, c’est impossible de toute manière.
-       « Comment vous le savez ? ». Le pire dans les paranos c’est cette interrogation perpétuelle, un peu comme les gosses en bas âge qui, dès leurs premières paroles, ne peuvent s’empêcher de vous dire « Pourquoi ? » à la moindre chose vue.
-       « Ben…heu…c’est comme ça. Parce que ». Je souris une fois encore, essayant de sortir de ma gorge serrée quelques sons amicaux.
-       « Et vous regardiez quoi là ? ».
-       « Comment ça ? ».
-       « Les sites, vous étiez sur Internet là, j’ai vu. Vous regardiez mon compte. J’vous ai vu fermer les fenêtres quand je suis arrivé. Vous cachez quelque chose. ».
-       « Oui », ça y est elle commence à m’interroger sur des choses personnelles, je m’efforce de garder ce vernis indispensable lors de tout service public mais je sens que ma carapace craquelle de partout. « Oui, parce que c’est personnel, des mails, des choses comme ça. De toute façon, vous n’avez rien à regarder ici, ni à toucher. Je m’occupe des inscriptions. C’est tout ».
-       « … »
Ma dinguo repartit furax vers la sortie. Vexée et anxieuse au possible, pensant que je venais de violer son intimité. A moitié hilare, mais également en colère, j’en parlai à mes collègues lors de la pause qui suivit mon service histoire de partager ma mésaventure.
Un des employés, vieux garçon à la calvitie naissante et adepte des pulls en laine façon grand-mère, me rassura. Mon cas était une habituée des micro-scandales. Elle avait déjà accusé un type la semaine dernière, un professeur d’université. Alors que notre besogneux à lunettes planchait sur quelques textes de théoriciens du cinéma, sa voisine paranoïaque l’avait accusé de la mater.
L’agrégé père de famille, plan-plan, devenait un pervers hautement nocif. Une telle anecdote me fit comprendre, plus que n’importe quel discours, toutes les limites du contrat social.
***
Autre semaine, autre cas à traiter. Preuve s’il en est que les grands centres commerciaux attirent les pires rebus de l’humanité. Petites vacances en cadis, déambulations entre les néons, parlottes insignifiantes au milieu du vacarme porté par des enceintes de qualité médiocre. Tout ce beau monde vient chercher dans ces endroits artificiels quelques menus plaisirs, pour pas trop cher. En particulier, les week-ends.
Mon cas était cette fois-ci plus violent, verbalement mais aussi physiquement. Toujours tranquillement installé à la banque de prêt, tuant le temps avec diverses astuces, j’entendis comme une agitation sur ma droite. Un grand type, d’aspect clochard, noir, se dirigea, le pas pressé, jusqu’à moi.
Tactique d’esquive numéro un, je me mis à ranger tranquillement la pile de films qui se trouvait sur le chariot derrière moi. Le geste appliqué, l’œil scrutateur, je m’efforçais de remettre dans l’ordre alphabétique les fameuses côtes des DVDs rendus par les derniers visiteurs. Secrètement, j’espérais que ce nouvel énervé abandonnerait toute volonté de vengeance en me voyant ainsi dans ma bulle. Le cliché vivant du bibliothécaire autiste.
-       « Hep ! », il siffle, « toi ! »
-       « … », je poursuis mon travail de fourmie sourde.
-       « Hé ! ». Il ressifle.
-       « Oui ? ». Je me tourne à moitié dans sa direction.
-       « Remets le film. »
-       « Pardon ? ». Le tutoiement, le sifflement, ce type vient de combiner en l’espace de deux secondes les pires méfaits à mes yeux. Un vulgaire qui mériterait, au moins, un petit redressement civique dans un camp de travail.
-       « On m’a coupé le film, tu l’remets s’te plait. »
-       « Si on l’a coupé, je ne peux rien faire, c’est que… », ma voix s’éteint doucement en voyant mon homme repartir en sens inverse tout en invectivant quelqu’un que je ne voyais pas d’où j’étais.
J’étais intrigué. Trop curieux, je reposai les films que j’avais dans les mains pour suivre mon énergumène. On n’entendait pas grand-chose mais déjà les regards se focalisaient vers l’espace se trouvant pile dans mon angle mort.
La conservatrice de la bibliothèque, grisonnante, un peu coincée, bourgeoise, coupe à la garçonne, débarqua enfin dans mon champ de vision. Le dos courbée, de l’air de celle qui n’écoute pas, elle griffonnait je ne sais quoi sur un bout de papier. Mon clodo la talonnait.
Il lui lança la même question : le film, coupé, le remettre. Son discours était syncopé, fruit de son énervement et d’un suivi hasardeux à l’école. Chaque mot était comme mangé par sa grande bouche entourée d’une barbe épaisse et sale. La conservatrice tenait tête en continuant à le feinter.
Et puis d’un coup, comme une claque après une discussion un peu intense, notre second cas se mit en transe. Il gueula, rameutant cette fois-ci tous les regards en direction de la banque de prêt. C’était de l’injustice, on n’avait pas le droit de lui couper le film, il voulait le voir.
Après l’esclandre en public, théâtre mesquin des médiocres, le voilà qui insultait désormais notre brave responsable, les lunettes bien fixées sur le nez, le visage un poil trop proche de l’énervé. C’était une conne, une salope. Après un festival de délicatesses, notre clodo, qui n’en était peut-être pas un d’ailleurs mais le préjugé est malheureusement tenace chez moi, la menaça d’une future expédition punitive. Il note, il reviendra.
Pour finir en beauté, on ne peut pas clore une telle performance ainsi, notre homme se mit à casser les moindres objets qui vinrent rencontrer ses mains aux veines seyantes. Le présentoir avec les horaires, par terre ; le cavalier avec le plan de la bibliothèque, vol plané de quelques mètres avant un atterrissage raté en tous points. Tel le diable de Tasmanie, brutal et un peu crétin, notre homme réduisit en miette le mobilier petit budget de l’établissement.
Après avoir joué les discrets, comme toujours, le type chargé de la sécurité, une espèce de petit gros, évangéliste jusqu’au nombril, vint à la rencontre du problème sur pattes. Avec ses bras courts et ses doigts boudinés, il tenta de calmer la tornade en la guidant discrètement vers la sortie. Notre clochard se calma un peu.
Il arrêta de menacer d’un doigt rageur la conservatrice, de casser les présentoirs, pour insulter copieusement notre petit gros avant de partir définitivement. Après quelques minutes encore agitées, l’établissement retrouva son calme relatif. Ce nouveau cas provoqua quelques discussions entre les collègues, sans jamais déboucher sur rien de précis si ce n’est le simple partage de faits divers. On m’expliqua que le sujet de la discorde portait sur ces fameux films qu’on permettait de voir sur place.
Affalé sur un des ordinateurs prévus à cet effet, notre vrai-faux clodo s’était littéralement endormi devant son film. Après avoir attendu près d’une heure, la conservatrice avait finalement pris la décision de couper la projection privée. D’une part parce que le type squattait une place et d’autre part parce qu’il n’en était pas à son coup d’essai.
A la pause, de retour à mon bureau, à l’étage, je vis la responsable dans le sien, rédigeant avec application une lettre. J’appris plus tard qu’elle avait alerté la mairie de la dangerosité du personnage afin de lui interdire la fréquentation de la bibliothèque, voire des autres établissements du réseau. Au terme de mon stage, et au détour d’une conversation anodine, on m’annonça en rigolant que malgré l’ancienneté de la plainte la lettre n’avait eu à ce jour aucune réponse.
Bizarrement, j’eus du mal à rire devant ce mépris souverain des élus pour nos petits tracas du quotidien. Plus exactement, l’absence d’actions concrètes pour neutraliser les quelques parasites qui pouvaient pourrir l’ambiance d’un établissement en quelques coups d’éclat seulement. On ne s’occupe pas du « petit personnel », le plus important c’est l’électeur. Une leçon que j’allais revivre de nombreuses fois par la suite. 

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lundi 5 novembre 2012

Ecriture - Roman "Le gout de rien" : chapitre 1 : "Prise de conscience"

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Le but de ce blog était à l'origine de transmettre des éléments de littérature, ainsi que des idées sur notre monde, mais également de suivre l'écriture d'un roman. Même si, depuis longtemps, aucun billet n'a évoqué ce sujet, j'ai décidé récemment de reprendre pour une dernière fois le roman que j'ai terminé il y a environ un an. Relecture, réécriture puis envoi à quelques maisons d'édition. Voici les objectifs que je me fixe pour 2012-2013. Je ne vais donc pas publier en intégralité le roman mais plusieurs chapitres. Le reste consistera à vous tenir au courant des retours des différents éditeurs contactés. Les choses se précisent. 
Le roman se nomme, pour l'instant, Le Goût de rien et ce premier chapitre s'intitule "Prise de conscience". Je vous laisse découvrir tout cela par vous-même.

  

La conscience, [...] Chose sombre que cet infini que tout homme porte en soi et auquel il mesure avec désespoir les volontés de son cerveau et les actions de sa vie
Les Misérables, de Victor Hugo


Chapitre I - Prise de conscience

« Dis, c’est quoi ça ? » me lança Raïssa, « C’est quoi ? ». Je tenais dans ma main droite, mollement refermée sur l’objet questionné, un album de l’âne Trotro. Trotro, avide d’expériences plus folles les unes que les autres, avait décidé cette fois-ci de jouer de la trompette. 
« Tu m’le lis, dis, tu m’le lis », Raïssa insistait. Encore minuscule de taille, cette petite fille, en grande section à la maternelle Victor Hugo, me collait aux basques depuis déjà trois bonnes minutes. Elle la voulait son histoire, son shoot quotidien de Trotro comme une héroïnomane en manque.
« Appelle tes camarades », la sentence sortant à peine de ma bouche elle courait déjà comme une dératée, slalomant entre les chaises et les tables, ameutant à force de grands cris stridents ses collègues ahuris. « Y’a Trotro, viens, viens, y’a Trotro ».
La redondance de l’ordre, cette mécanique en roue libre des chiards, est impressionnante même si on en a l’habitude. En même pas une minute, Raïssa avait réussi à soulever une véritable petite armée de morveux arrivant jusqu’à moi en dodelinant de la tête et se trifouillant savoureusement l’intérieur du pantalon.
Le temps de les cadrer, de répéter dix fois les mêmes incantations, « Ne mets pas la main que tu viens de fourrer dans ton nez sur ma jambe », « Non, tu ne peux pas monter sur mes genoux », « Assis, là, regarde moi, on ne parle pas, chut, du calme », et je pus enfin commencer mon histoire.
Instituteur, c’est un travail de flic avant tout. C’est gérer un troupeau d’écervelés dont la patience atteint péniblement les quatre secondes lorsqu’ils pètent la forme. Visiblement, ils étaient déjà usés alors qu’il ne s’agissait que du milieu de la matinée.
J’étais fatigué rien qu’à l’idée de lire les premiers mots de ce nouveau récit picaresque de l’âne Trotro. Une petite bagarre commençait tout juste sur ma gauche, je fis mine de ne rien voir.
-     "Alors, c’est l’âne Trotro, vous le connaissez ?". Les morveux me répondent non par une phrase ou un mot mais la plupart par des hochements de tête frénétiques comme des poupées désarticulées sur le point de céder.
-       "Alors Trotro, il fait plein de choses. Là, il va jouer de la trompette, vous voyez ?". Je montre la couverture à ma foule d’impatients. Deux ou trois marmots commencent déjà à se faire la malle. "On attend la fin de la lecture, ok ?". Mes fuyards reprennent plus ou moins leur place.
-       "Trotro, en allant voir sa maman ce matin, lui dit qu’il veut faire de la musique". Je montre le dessin. Des rires hystériques éclatent ici et là dans l’assistance, il n’y a pourtant rien de drôle.
-      "« Tu veux faire de la musique Trotro ? » dit la mère. « Je crois bien qu’il y a une trompette dans ta malle à jouets. »".
-       "C’est quoi une malle à jouets ?" me lance Abdel, un mini pouce au regard toujours ahuri.
-      "Ben…une malle où tu mets tes jouets. Un endroit pour ranger". Face à ses grands yeux aussi ronds qu’absents, je décide de reprendre. Avant d’abaisser totalement mes yeux, je remarque quelques curages de nez profonds, deux ou trois triffouillages de zizi et des regards tournés vers la fenêtre. Je poursuis.
-     "Trotro monte alors les escaliers, il va dans sa chambre pour fouiller dans sa malle à jouets". Benjamin cherche à monter sur mes genoux, je le fais redescendre avec toute la patience qu’il faut même si ma main se crispe sur son avant-bras, prête à lui casser en deux comme du bois sec. "Tu t’assois, par terre". Pour seule réponse, mon morveux renifle avec force faisant remonter la coulée translucide qui formait déjà une rigole jusqu’à sa bouche.
-     "Trotro cherche la malle", je tourne les pages et continue de les montrer à tout le monde, la moitié des visages suit mon mouvement de bras.
-       "Il fouille et fouille encore. Il tombe enfin sur une trompette, toute jaune".
-       "C’est quoi une trompette" me dit Armelle, assise en tailleur, à l’apparence sage.
-       "C’est ce que je te montre, là. Regarde, je pointe mon doigt à côté de l’objet, tu vois ?". Pas de réponse.
-      "Trotro prend alors l’objet et le porte à sa bouche". Je me sens dans l’obligation de mimer la chose tant le dessin semble obscur pour mes profanes. Rires hystériques à nouveau.
-       "Seulement, aucun son ne sort de la trompette. Trotro souffle et souffle encore. Rien".
-       "C’est cassé ?" me lance Raïssa.
-      "Je ne sais pas, attends un peu la suite". Je tourne la page. "Trotro regarde alors dans la trompette et que voit-il ?". Je relève la tête histoire de créer un lien avec mon auditoire d’inconstants.
-      "Du caca lance Maxime", le petit rigolo du groupe. Il se marre comme une baleine, ses joues roses de cochon bien gras gigotent au rythme des secousses qui parcourent son corps grassouillet.
-      "Très drôle Maxime, on se calme". Forcément, le bon mot de mon clown vient de déclencher l’hilarité générale. Certains éclatent de rire, d’autres lancent des « Ahhh », « Beurk » en associant aux mots, ou borborygmes, des grimaces tordant avec une virtuosité folle leur jeune faciès.
-       "On se calme", je hausse le ton. "On se calme !". Les gosses retrouvent un semblant de sérieux.
-      "Trotro fouille dans la trompette et trouve…", je lève les yeux une fois encore pour regarder mon assistance, moi qui pensais faire un carton plein, scotcher mes morveux avec un suspense insoutenable, je constate que l’indifférence plus que l’attente règne dans mes rangs indisciplinés. "Trouve…une chaussette". Je montre l’album. De nouveau, rires hystériques. Même ceux qui n’ont rien suivi rient de bon cœur, histoire de raccrocher les wagons avec les copains.
-     "C’est bon, c’est fini. Allez voir Nathalie et Joëlle". Mon assemblé se disperse avec force et fracas, bousculades et micro altercations. Bref, rien d’exceptionnel.
***
Depuis l’âge des idéaux à celui des premières résignations, je n’ai eu de cesse de faire des compromis. Minimisant mes envies à l’extrême, j’en suis arrivé à brader royalement ce à quoi je me destinais.
Amoureux fou des mots, l’enseignement représentait pour moi cette grande autoroute à emprunter. Droit devant, des œillères jusqu’au péage. Problème, un certain découragement m’a poussé à réduire mes ambitions.
En dessous de prof il y a quoi ? Instituteur, non, « professeurs des écoles ». C’est plus chic, plus tendance. Valoriser par un néologisme une profession en manque de reconnaissance, c’est tout le génie actuel.
Du coup, me voilà en milieu hostile. Entouré par une grande majorité de femmes à l’esprit maternel ultra développé. Presque dangereux. L’enfant, c’est leur graal, la crèche leur patrie. Elles ont ça dans le sang.
Moi, bizarrement, un peu moins. Mais je me persuadais qu’il ne fallait pas s’en faire, qu’on retombe toujours sur ses pattes dans la vie, comme les chats. Qu’en fin de compte, l’homme est capable de trouver du Bien dans le Mal, travestir une réalité pour la sublimer. J’y ai cru, au début.
Je m’enthousiasmais devant ces ouvrages de littérature jeunesse sans génie, ces albums plats, ces récits concis. Moi qui me passionnais pour la littérature, je veux dire celle de Jules Renard, de Molière, de Céline, je me retrouvais à servir des productions me décrochant péniblement un vibrato au niveau du cœur.
Pris dans un tel cursus scolaire, je me devais de faire mine de m’intéresser à tout ce fatras, me montant la tête à force d’analyses fumeuses pour brandir à la face du monde toute la prétention dont suintait cette littérature. Porte-flambeau des petits maîtres.
Ce stage fut un véritable coup de massue. Deux semaines chez les marmots de la grande section de maternelle. On ne peut pas parler véritablement de calvaire, mais de vide. Jamais je n’ai ressenti une telle sensation de néant.
Moi regardant la maîtresse tentant de canaliser des gamins visiblement plus intéressés par les jouets que le propos, cherchant à aider des enfants aux retards considérables, essuyant des conneries toutes les cinq secondes comme un soldat américain sous les feux de l’ennemi en plein débarquement sur une plage de Normandie. Je comprenais, dans la douleur, mon erreur d’orientation.
Un après-midi, comme tant d’autres, l’institutrice avait décidé de sortir sa classe dans le jardin de l’école. Une sorte de bout de terre ridicule dans lequel poussait deux, trois radis et quelques tomates. Face à cette misère idéalisée, je ne pouvais que décrocher un sourire crispé.
Alors que nous nous apprêtions à nous rendre dans notre Eden, un des enfants fit de la résistance. C’était le petit Olivier, un gamin tout ce qu’il y a de plus lambda. Avec son pull vert, sa bouille énorme, il restait assis sur sa chaise habituelle. Refusant de suivre le groupe d’excités qui se dirigeait d’un bloc vers la sortie.
Je me dirigeai vers ce petit bonhomme avec une assurance feinte. Le surplombant de ma taille de géant, il leva doucement les yeux vers moi. Minuscule qu’il était, les fesses bien posées sur sa chaise de lilliputien.
Il y avait une telle volonté de communiquer dans son regard luisant que j’en étais presque ému. C’était un S.O.S qu’il me lançait, un vrai monologue par télépathie. « Toi, tu me comprends, tire-moi de là. Ne m’impose pas ces rituels à la con, je ne veux pas y aller. Je veux retourner chez moi. »
Comme je te comprends petit bonhomme, comme je te comprends. Je lui tendis la main pour qu’il me suive, j’étais suffisamment à fleur de peau, trop d’émotivité dans son regard me chatouillait dangereusement les glandes lacrymales. « Tu viens ? ».
Il ne bougea pas, continua à me fixer, dodelinant légèrement de la tête comme le signe de protestation d’un condamné à mort qui s’apprête à aller à l’échafaud. « Allez, viens ». Résigné, il leva son petit bras pour déposer dans ma main velue ses doigts boudinés.
D’un pas incertain, nous nous dirigeâmes vers notre plaie commune : le jardin de l’école, cette festivité de pacotille qui consistait à jouer aux paysans. Durant notre lente traversée du couloir conduisant à l’extérieur, je sentis la main de mon petit gars serrer irrégulièrement la mienne.
Du coin de l’œil, je pus voir son corps non formé se secouer de petits spasmes. Sans rien dire, je continuai mon travail de bourreau. Arrivé au seuil de la porte, il me fallut un dernier effort pour conduire Olivier sur l’herbe sèche du pré carré dédié au jardinage. 
J’eus honte tout le reste de la journée d’avoir obligé ce gosse à suivre le mouvement, bousculer son immobilité journalière par le besoin d’activités frénétiques. Je ne m’étais jamais senti aussi proche de quelqu’un depuis le début de cette longue formation. Ma décision était prise. J’arrêtais tout. A peine quelques mois plus tard, une nouvelle année scolaire commençant, je m’engageai dans un cursus court et professionnalisant incluant un stage. Un argument de poids pour l’étudiant attardé que j’étais, plus que jamais désireux de se frotter à la réalité. Exit les joies de l’enseignement, je m’apprêtais à pénétrer dans le monde soi-disant feutré des bibliothèques.

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