jeudi 25 avril 2013

Manga - Une vie dans les marges (Yoshihiro Tatsumi)

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Souvent, les auteurs de bandes dessinées se livrent à une grande introspection lorsqu'ils atteignent un grand âge. L'approche de la mort amenant un sentiment d'urgence dans leurs esprits, on observe régulièrement une floraison d’œuvres personnelles, nostalgiques, retraçant plus ou moins fidèlement un passé qui semble bien lointain.


On pourrait citer Inside Moebius, série en six tomes de Moebius qui revient sur son œuvre à coup de dialogues et de clins d’œil visuels. On pourrait également évoquer, du côté du manga, La Vie de Mizuki de Shigeru Mizuki qui se met, dès les premières pages du tome 1, en scène, vieux narrateur, pour annoncer le programme de ce récit en plusieurs morceaux.

Seulement, pour ce nouveau billet consacré aux mangas, j'ai décidé de me focaliser sur une autre grande figure de la bande dessinée japonaise : Yoshihiro Tatsumi et son diptyque Une vie dans les marges.



Il serait difficile, fastidieux, et pas forcément intéressant, de résumer ces deux gros tomes parus aux éditions Cornélius. Ce qui intéresse dans ces deux gros volumes, c'est à la fois le récit d'une destinée (un enfant qui deviendra mangaka) que la vision d'un pays en pleine reconstruction (le Japon d'après-guerre).

Tatsumi, grand mangaka réaliste, hautement pessimiste (il suffit de lire les histoires de L'Enfer pour le comprendre), raconte cette fois-ci non plus l'histoire tragique de Japonais ordinaires, frustrés, subissant les violences du quotidien, mais sa propre histoire. Une histoire pas forcément éloignée de la masse.

Tatsumi mêle allègrement au fil des deux tomes la grande Histoire et la sienne. Ce jeu d'échos permanents, on passe de l'une à l'autre ou l'une se retrouve dans l'autre, nous donne à voir le destin d'un jeune Japonais, issu d'une famille modeste pour ne pas dire pauvre, se construisant petit à petit, à la force du poignet. Tatsumi envoie ses petites histoires dans des journaux, se fait publier dans des petites maisons d'édition puis dans des plus importantes, s'engage dans des aventures journalistiques, etc.


Ce destin, c'est le témoignage d'un autre temps. Certes, les magasines prépubliant des mangas sont encore nombreux au Japon (Shonen Jump, etc.) mais le monde que nous fait voir Tatsumi, c'est celui des débuts du manga moderne. Les grands magasines que l'on connait désormais naissent peu à peu, c'est encore un monde de l'artisanat où chacun œuvre à tous les étages, un monde de la débrouille, globalement fauché.

Tatsumi a vécu cette naissance, de l'artisanat à l'industrialisation d'un secteur culturel et économique. Une naissance qui fait écho à la (re)naissance du Japon d'après-guerre. Le Japon a perdu la IIème Guerre Mondiale, est sous tutorat américain et a vu plusieurs villes détruites. De cette misère ambiante, de ce pays semi-détruit va émerger un pays neuf, alimenté par des capitaux étrangers.

Yoshihiro Tatsumi, enfant de l'ancien Japon, encore globalement isolationniste, très rural, assiste aux mutations de son pays. Un pays qui accueille les cultures étrangères (le cinéma français, américain...), qui urbanise à tout va. Le Japon renaît, dans la continuité et le changement. 

Ce vieux mangaka, 77 ans pour cette année 2013, nous raconte dans Une vie dans les marges deux naissances. La sienne en tant que dessinateur et celle de son (nouveau) pays. Il grandit professionnellement comme son pays tel le phénix qui renait de ses cendres.

Tastumi fondera dans ses jeunes années le gekiga, ce courant du manga qui se veut plus mature, bouleversera ce monde de la bande dessinée japonaise mais toujours avec modestie, l'envie du travail bien fait, comme un artiste qui n'a jamais cessé de faire son art pour l'amour de ce dernier et non de l'argent. Un artiste désintéressé, insatiable artisan du pinceau.


Une vie dans les marges de Yoshihiro Tatsumi (Editions Cornélius)

 
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lundi 15 avril 2013

Eric Hazan et la LQR

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Un système, donc un schéma de domination pour notre exemple, se maintient par une acceptation plus ou moins forte de la majorité. C'est parce que le plus grand nombre plébiscite ou accepte dans le silence, qu'un système, même mauvais, ne s'écroule pas. 
Pour qu'un système se maintienne en place, l'élite qui en tire le plus parti (élite politique, économique, culturelle...) prendra soin de manipuler la masse (nécessaire comme on vient de le voir, le soulèvement de la masse c'est le renversement de l'élite) entres autres en usant d'un vocabulaire précis.
 Eric Hazan
Georges Orwell parlait de "novlangue" dans 1984, Victor Klemperer parlait pour la stratégie linguistique du IIIème Reich de Lingua Tertii Imperii. Eric Hazan suit l'exemple de Klemperer et qualifie la nouvelle langue au service d'un système (système néo-libérale à la française pour la faire courte) sous l’appellation LQR (Lingua Quintae Reipublicae).
Les mots sont là pour évoquer des réalités. En choisissant précisément les mots à employer, on ne modifie pas dans le réel la situation, on la travestit aux yeux et aux oreilles des auditeurs. Par exemple, on parlera en linguistique des "mots occultant" pour désigner ces expressions qui traduisent avec euphémisme des réalités souvent cruelles. On ne dira pas "un aveugle" mais un "non-voyant". Au final, la personne ne voit pas plus mais l'interlocuteur se sent probablement plus en paix avec lui-même, il n'a pas rajouté de la violence à la souffrance originelle (tartufferie absolue).
Dans l'extrait ci-dessous, Eric Hazan se focalise sur le vocabulaire lié à la question économique (la croissance), qui est forcément liée à la politique. En quelques phrases, Hazan décortique toute la "vulgate néolibérale". Qu'on se le dise, les mots ne changent pas la réalité, ils la font voir d'une certaine manière. D'où la nécessité de ne pas se fier trop aux beaux discours d'une élite médiatique. Au-delà des mots, il y a des hommes, des carrières et des idéologies défendues, des réseaux aussi. A nous de relier ces mots à ces réalités plus souterraines pour comprendre les raisons d'un tel usage. Les mots ne sont qu'une vitrine.
"Comme il n’est pas possible de convenir ouvertement du caractère imprévisible de la croissance, la LQR utilise des métaphores tantôt météorologiques (« coup de froid »), tantôt aéronautiques (« le trou d’air »). La croissance tient une grande place dans la LQR pour deux raisons. La première est le caractère magique des données chiffrées, qui confère aux énoncés les plus invraisemblables ou les plus odieux une respectabilité quasi scientifique.
La seconde raison qui fait l’intérêt « politique » de la croissance est son caractère mystérieusement incontrôlable. Elle est la principale des contraintes extérieures sur lesquelles on ne peut rien sauf en déplorer les effets rétrécissant sur la marge de manœuvre.
L’ascension de la croissance à un statut de masque magique témoigne de la décadence de la pensée et du vocabulaire économiques depuis 30 ans. Mener des réformes pour sortir de la crise, si non pas Dieu, mais la croissance le permet, telle est la conduite prônée par les experts, approuvée, par les financiers et mise en pratique par les politiciens. C’est pour donner à ce faux-semblant un vernis de respectabilité que l’on a crée de Hauts Commissariats, de Hauts Conseils, de Hautes Autorités…
Les euphémismes de la langue vectrice de l’idéologie néolibérale en France ressemblent aux discours tenus en Union soviétique dans sa phase terminale. Parmi les mots-masques, les composés en post- constituent un sous-groupe important : le préfixe post donne à peu de frais l’illusion du mouvement là où il n’y en a pas. Post-colonialisme, par ex, expose au danger d’oublier ou de faire oublier que le pillage continue après les changements d’étiquettes dans les pays en développement.
Selon la vulgate néolibérale, nous vivons dans une société post-industrielle. Faire disparaître l’industrie a bien des avantages : en renvoyant l’usine et les ouvriers dans le passé, on range du même coup les classes et leurs luttes dans le placard aux archaïsmes. Qualifier d’offensive, une réoccupation motorisée du nord de la bande de Gaza ou des raids américains sur les villes irakiennes. C’est occulter que ces actions menées avec des chars et des avions visent essentiellement des populations civiles."

LQR, d'Eric Hazan, éditions Raisons d'agir
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jeudi 4 avril 2013

Obélix et le capitalisme

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Vulgariser des phénomènes complexes n'est ni mauvais en soi, ni simple. A la manière d'un dialoguiste de bandes dessinées, qui doit conserver la force d'un dialogue tout en cherchant à le raccourcir au maximum, le vulgarisateur doit expliquer un phénomène sans tomber dans le jargonnage ou l'explication ampoulée. Dans les deux cas, il faut faire simple, aller à l'essentiel.


Si l'on parle souvent de livres visant le grand public, vulgarisant telle période historique, telle notion philosophique, on oublie que la vulgarisation peut se faire autant avec un livre (entièrement textuel) que d'autres supports, comme la bande dessinée, cette alliance singulière du texte et de l'image. L'exemple d'aujourd'hui est une bande dessinée, Obélix et compagnie, une aventure d'Uderzo et Goscinny qui remplit parfaitement le cahier des charges de la vulgarisation économique.

En effet, l'histoire raconte la stratégie d'un jeune romain, Caius Saugrenus (qui a tout de l'énarque, ambitieux et sans pitié), qui propose ses services à Jules César pour venir à bout de ce village gaulois qui résiste à l'empire romain. Au lieu d'utiliser les armes, Saugrenus propose de diviser de l'intérieur le socle gaulois. Il va en effet tenter de supplanter le système primitif mais concret des Gaulois (le troc), pas d'argent dans le village et les marchands s'échangent leurs produits (Obélix cherche toujours à caser ses menhirs, sans grand succès le plus souvent), par un système abstrait : la société de consommation qui repose sur un médium qu'est l'argent (et non sur un échange de produit à produit). 


Saugrenus va dans un premier temps acheter un menhir à Obélix puis à chaque nouveau menhir qu'il commandera donnera au Gaulois une somme plus importante. La Demande est forte, l'Offre suit. Seulement, l'Offre étant trop importante pour Obélix seul, il va employer d'autres habitants du village pour chasser pour lui ou tailler des menhirs. Voyant Obélix couvert de sesterces, d'autres Gaulois vont également tenter leur chance en produisant des menhirs. Mais comme l'Offre se varie, fin du monopole, Saugrenus achète les menhirs au marchand le moins onéreux.

Le vers est dans le fruit, désormais les dissensions règnent au sein du village. La concurrence marchande prend forme, puisque la majorité des Gaulois travaille dans le menhir alors que par le passé chacun avait sa spécialité (le poisson, la forge, etc.), et fait éclater l'unité des Gaulois.

Dans le reste de l'album, Goscinny aborde également les grèves syndicales, la surproduction (que va faire Rome de tous les menhirs ?) écoulée par le marketing (il faut créer l'envie chez les citoyens pour qu'ils achètent un produit et écoulent les stocks) ou encore le protectionnisme comme réaction à ce libéralisme économique qui cherche à casser les frontières, toute barrière, dans le but d'étendre et de faciliter la circulation des flux.


C'est en lisant un tel album que l'on peut comprendre le génie d'une vulgarisation de qualité, et plus encore le talent de scénariste de Goscinny. Par ce récit, Uderzo et Goscinny livre aux lecteurs (d'hier et d'aujourd'hui) une leçon riche d'enseignements car au fond ces thématiques (qui existaient dans les années 70 lors de la sortie de l'album) sont toujours actuelles.

S'il y a un enseignement à tirer, c'est que la force réside dans le groupe et que les dissensions offrent une route royale au libéralisme économique. C'est en divisant le village gaulois en entreprises concurrentielles, en groupes sociaux divergents, que le pouvoir romain gagne momentanément sa bataille. 

On pourrait prolonger cette réflexion en affirmant qu'aujourd'hui il est plus que nécessaire de penser à des rapprochements trans-courants, à se réunir plus autour d'idées unificatrices, de luttes (qui rassemblent le plus possible et non qui divisent le plus possible) que derrière des partis politiques. 

Qu'importe l'étiquette du moment que l'on s'indigne du système tentaculaire Goldman Sachs, que l'on décide de punir les grands groupes pratiquant l'évasion fiscale (comme Amazon) en favorisant le libraire indépendant de sa ville, de demander et d'aider des coopératives agricoles pour dynamiser un tissu économique local (et sain d'un point de vue sanitaire) au détriment de l'industrie agro-alimentaire, etc. 

Il existe encore des combats d'intérêts généraux, qui nous concernent tous et que l'on peut tous mener. Ne pas tomber dans le piège de la dissension provoquée par de petites questions sociétales et se tourner vers les vices d'un système politico-économique c'est déjà un premier pas pour échapper au "diviser pour régner". Ce qui n'empêche pas les divergences idéologiques, secondaires par rapport à la gravité de certains problèmes énumérés ci-dessus.

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