Fraternisons mes frères
"Comme tout groupe de la même trempe, les paroles avaient leur importance. « Chansons à texte » précisait Baptiste fier de lui. Apparemment, c’était lui l’auteur de ces saillies. Forcément, idéologiquement très marquées. Il s’agissait de traiter un peu tous les problèmes du monde, les belles causes. Des sans-papiers à la pauvreté, les chansons formaient un tel amas de pathos qu’un diabétique en crèverait rien qu’à la vision de ce galimatias.
Moi je ne mourrais pas, je souffrais en silence. Mon statut d’esthète violemment tancé par ces quelques productions musicales. Assez rapidement, toute l’assistance commença à parler musique, plus précisément du groupe de Baptiste. Fier de lui, tel le Candide de Voltaire, notre brave garçon se lança dans une pénible énumération des tentatives du groupe pour percer.
Ils enchaînaient les sortes de crochets et autres compétitions musicales, dès qu’une salle de concert ou une association mettait sur pied quelque chose qui s’apparentait à ça, le groupe se radinait avec ses dernières productions sous le coude. Malgré la médiocrité ambiante, tout entretien se soldait par un échec. Cuisant et violent.
Je me demandais tout de même comment il faisait, tous, pour vivre. S’ils pensaient vivre de leur « art », mieux valait vivre petitement. Ce qui n’avait pas l’air d’être le cas ici vu l’approvisionnement en bières et pizzas qui formaient désormais une sorte de train lascif de la cuisine jusqu’au salon. La question n’était pas taboue mais était vite éludée, j’eus ma réponse au détour d’une conversation. Ils étaient étudiants.
Tous, Baptiste comme ses camarades. Batteur, bassiste, guitariste la nuit et étudiant le jour. Sans trop faire d’effort, je compris avant même que la chose ne me soit confirmée que papa/maman finançait la vie minable de leurs progénitures. Chacun, le cul bien au chaud, pouvait se permettre de plonger à grandes brasses dans le déni du réel puisque le filin qui les retenait à la surface ne lâcherait jamais. Des parents qui paient l’indépendance de leurs enfants, c’est d’un banal.
La bière, ou plutôt les bières, commençait à faire son effet. Sans être pompette, j’avais le cerveau qui commençait à marcher au ralenti. Typique lorsqu’on ne mange pas en même temps que l’on boit. Du coup, avec un temps de latence plus ou moins grand, j’essayais de suivre les discussions hilares qui m’entouraient sans réussir pourtant à raccrocher les wagons.
A ma droite venait de s’engager un discours philosophico-mystique. Ils parlaient politique avec une naïveté à la hauteur de leur ignorance. Comme des artistes. C’était du Tocqueville sans le talent, du Robespierre sans l’audace, du Marx sans la pertinence. Bref, c’était du rien, du vent, du que dalle.
Pourtant, ils ne pouvaient s’empêcher, groupies, fans comme le groupe, de se pignolaient joyeusement, tous ensemble, dans cette espèce de fraternité répugnante que les gauchistes adorent. Ma seule envie à moi, c’était de me diriger vers les toilettes histoire d’évacuer cette mauvaise bière. Je luttais pour ne pas tout renvoyer, là, maintenant, au milieu de cette instance de joyeux drilles.
J’avais autant envie de gerber que de me lever d’un coup, et beugler, avec force et fracas, mon dégoût pour cette bande de crasseux. "Vous me faîtes chier bandes de cons", je ne le dis pas. Emasculé que j’étais par des années de pacifisme et d’éducation socialisante. Mou du genou, chèvre bêlante, petit médiocre forgée à la lumière du prêt à penser.
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