mardi 25 juin 2013

"L'art pour l'Art" de Théophile Gautier, suite par Celim

Après avoir constaté des interventions très pertinentes des lecteurs du bréviaire, j'ai décidé de poster les plus intéressantes afin de donner à tous de bons compléments par rapport à des questions abordées ici et là dans divers billets. La réponse ci-dessous est une réaction d'un lecteur, Celim, après la diffusion d'un billet consacré à Théophile Gautier et sa conception de "L'Art pour l'Art" dans la préface du roman Mademoiselle de Maupin

"D'abord, sur la question de l'utilité de l'art. Celle-ci me semble récente. Platon et Socrate s'en fichent, par exemple, et excluent le poète de la cité car il corrompt. Enfin, disons que la mimesis qu'il propose ne correspond pas à la pratique qu'attendent les deux compères de la part des jeunes des cités. La question ne se pose pas. De même, les mystères du moyen-âge transmettaient la croyance en dieu, le théâtre élisabéthain un certain ordonnancement cosmogonique. Passons rapidement sur les cahiers bleus colportés dans les campagnes françaises et dont Perrault tira ses contes. Soulignons le rôle de la peinture dans la transmission des idées (le passage du plat à la perspective vous en dit plus sur une civilisation et sa pensée que mille ouvrages) ou l'importance de l'oralité dans la transmission du savoir. L'art est.

Schéma du théâtre élizabéthain

La question de l'utilité d'icelui-ci (oui, bon, je vous présente mes excuses pour ce démonstratif foireux) me semble apparaître au XIXème siècle, autour du Parnasse, mais aussi du Réalisme. Pour affiner encore un peu, je dirais que je n'ai pas aperçu cette question dans l'art anglais. De là à dire qu'il s'agit d'une question fondamentalement continentale ou latine, il y a un pas que je ne franchirai pas.

Sur Twilight [cette partie répondait à un lecteur qui stipulait qu'un tel roman n'était pas de la littérature, on glissait ainsi de l'utilité de l'art à la question de la littérarité des fictions textuelles]. J'avais écrit quelque chose de vachement intéressant là-dessus en commentaire d'un de mes articles, mais il a disparu dans la frénésie destructrice. 

Il faudrait, en accord avec G. Genette et Borges (et dans une moindre mesure Barthes) faire disparaître ce "L" majuscule de la Littérature. Il n'existe pas de Littérature mais la littérature voire, plus exact, des littératures. Une notice d'utilisation pour une montre Casio fait partie, au même titre que la Recherche du Temps Perdu, de la littérature, de la grande bibliothèque de Babel où gisent toutes les choses écrites présentes, passées et à venir.
Gérard Genette

Ce qui pose la question, sous-jacente dans les commentaires précédents, de la relativité de l'art.

En fait, ce que Gauthier me semble faire, c'est tenter de donner une valeur précise à l'art. En lui donnant une utilité ou, précisément, en l'excluant du champ du l'utile (Le tour conceptuel est simple, mais remarquable. Depuis Marx, la valeur est mesurée par l'utilité d'une chose dans le cycle capitaliste. Le temps de travail est mesuré à l'aune de ce qu'il rapporte. L'ouvrier aussi. Le temps de loisir permet la reproduction de la force de travail, je ne vous ferai pas l'injure de balancer la vulgate. Cela dit. Dans ce cycle capitaliste, la rareté d'une chose conditionne sa valeur [Et c'est le cas depuis la mondialisation du commerce, dès le XVIème siècle si je ne me trompe pas ]. De sorte que si l'art est inutile, il sort de ce cycle. Mais pas tant que cela. En devenant inutile, il devient la plus grande des richesses. Le temps, la société capitaliste est une société où tout est investi. La nullité devient donc la suprême récompense. L'oisiveté, en somme, est le but ultime. Donc, Gauthier, en désinvestissant l'art de tout autre valeur que sa valeur intrinsèque (art pour art) le place comme le parangon des valeurs, celui à l'aune duquel tout doit être pesé), Gauthier fait de l'art la valeur suprême.

Il est donc hors de la relativité de l'art, il le mesure par rapport au reste et le pose comme valeur fondamentale. Ce qui permit, ensuite, de joyeusement enculer les mouches et de diviser l'art en choses bonnes, vraies et belles (Platon, indépassable) et en choses fausses, laides et mauvaises. Sauf que voilà. Ce positionnement correspond aussi à ce que décrit Bourdieu dans Les Règles de l'art. C'est-à-dire que l'art pour l'art n'est rien d'autre qu'un artiste cherchant à gagner sa pitance en se faisant prêtre de quelque vérité inaccessible au commun des mortels. Et de là, l’aréopage de parasites (auteurs et critiques confondus) qui viennent dire ce qui est valable ou ne l'est pas.


Tout cela pour dire : oui, je trouve que Twilight, c'est de la merde. Mais c'est de la littérature, que nous le voulions ou non.

La littérature comme quête de sens [cette partie répondait à un lecteur qui tentait de définir ce qu'est la littérature en parlant de "quête de sens"]. La vie est une quête de sens. La littérature, un miroir que l'on promène le long d'un chemin (Stendhal, Le rouge et le noir, chap XIII). 'Nough said.

Blague à part, encore une fois, je pense qu'il s'agit d'une notion de valeur. Or, la valeur fausse considérablement les choses. La littérature, la peinture, la musique, en un mot, l'art, est. Avec toute la force existentialiste de ce verbe.

Je pense que l'art est fondamentalement gratuit. Certes, il est commercial, il peut être dirigé, motivé, il peut rapporter de l'argent, en faire perdre, etc. Mais l'art est, à mon avis, un geste de partage fondamentalement gratuit. Une balle envoyée vers l'Autre (pour le coup, la majuscule me semble inévitable) qu'il lui appartient de saisir ou non. Peu importe la définition de cet autre. Il était grec à une époque, noble à une autre, féminin en Angleterre vers le XIXème siècle, etc.

L'art est gratuit. C'est un don, qui espère un retour mais qui n'en attend pas. Qui ne rend rien obligatoire. C'est juste une lubie.

Alors, une valeur ? Il peut en revêtir des milliards. Mais il restera gratuit. Navrant que le système mercantile brise tout cela."

Cette intervention fut dense mais avait le mérite d'apporter de bons compléments à la question de la littérarité, à la définition de la littérature ou encore à l'utilité de l'art plus généralement. Il ne s'agit pas d'une réponse close et définitive mais d'une nouvelle pierre à l'édifice de la recherche.

Je tiens à signaler que Celim n'est pas un membre du bréviaire des vaincus. Il n'est donc en rien engagé dans la ligne éditoriale du blog ou de la maison d'édition. Il s'agit simplement d'un lecteur ayant réagi à un article et ayant apporté une réponse réfléchie et pertinente. Ce message est publié avec son autorisation.

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