Le
but de ce blog était à l'origine de transmettre des éléments de
littérature, ainsi que des idées sur notre monde, mais également de
suivre l'écriture d'un roman. Même si, depuis longtemps, aucun billet n'a
évoqué ce sujet, j'ai décidé récemment de reprendre pour une dernière
fois le roman que j'ai terminé il y a environ un an. Relecture,
réécriture puis envoi à quelques maisons d'édition. Voici les objectifs
que je me fixe pour 2012-2013. Je ne vais donc pas publier en
intégralité le roman mais plusieurs chapitres. Le reste consistera à
vous tenir au courant des retours des différents éditeurs contactés. Les
choses se précisent.
Le roman se nomme, pour l'instant, Le Goût de rien et ce premier chapitre s'intitule "Prise de conscience". Je vous laisse découvrir tout cela par vous-même.
La conscience, [...] Chose sombre que cet infini que tout homme porte en soi et auquel il mesure avec désespoir les volontés de son cerveau et les actions de sa vie !
Les
Misérables,
de Victor Hugo
Chapitre
I - Prise de conscience
« Dis, c’est quoi ça ? » me
lança Raïssa, « C’est quoi ? ». Je tenais dans ma main droite,
mollement refermée sur l’objet questionné, un album de l’âne Trotro. Trotro,
avide d’expériences plus folles les unes que les autres, avait décidé cette
fois-ci de jouer de la trompette.
« Tu m’le lis, dis, tu m’le lis », Raïssa
insistait. Encore minuscule de taille, cette petite fille, en grande section à
la maternelle Victor Hugo, me collait aux basques depuis déjà trois bonnes
minutes. Elle la voulait son histoire, son shoot quotidien de Trotro comme une
héroïnomane en manque.
« Appelle tes camarades », la sentence
sortant à peine de ma bouche elle courait déjà comme une dératée, slalomant
entre les chaises et les tables, ameutant à force de grands cris stridents ses collègues
ahuris. « Y’a Trotro, viens, viens, y’a Trotro ».
La redondance de l’ordre, cette mécanique en
roue libre des chiards, est impressionnante même si on en a l’habitude. En même
pas une minute, Raïssa avait réussi à soulever une véritable petite armée de
morveux arrivant jusqu’à moi en dodelinant de la tête et se trifouillant
savoureusement l’intérieur du pantalon.
Le temps de les cadrer, de répéter dix fois les
mêmes incantations, « Ne mets pas la main que tu viens de fourrer dans ton
nez sur ma jambe », « Non, tu ne peux pas monter sur mes genoux »,
« Assis, là, regarde moi, on ne parle pas, chut, du calme », et je
pus enfin commencer mon histoire.
Instituteur, c’est un travail de flic avant
tout. C’est gérer un troupeau d’écervelés dont la patience atteint péniblement
les quatre secondes lorsqu’ils pètent la forme. Visiblement, ils étaient déjà
usés alors qu’il ne s’agissait que du milieu de la matinée.
J’étais fatigué rien qu’à l’idée de lire les
premiers mots de ce nouveau récit picaresque de l’âne Trotro. Une petite bagarre
commençait tout juste sur ma gauche, je fis mine de ne rien voir.
- "Alors, c’est l’âne Trotro, vous le connaissez ?". Les
morveux me répondent non par une phrase ou un mot mais la plupart par des
hochements de tête frénétiques comme des poupées désarticulées sur le point de
céder.
-
"Alors Trotro, il fait plein de choses. Là, il va jouer de la
trompette, vous voyez ?". Je montre la couverture à ma foule d’impatients. Deux
ou trois marmots commencent déjà à se faire la malle. "On attend la fin de la
lecture, ok ?". Mes fuyards reprennent plus ou moins leur place.
-
"Trotro, en allant voir sa maman ce matin, lui dit qu’il veut
faire de la musique". Je montre le dessin. Des rires hystériques éclatent ici et
là dans l’assistance, il n’y a pourtant rien de drôle.
- "« Tu veux faire de la musique Trotro ? » dit
la mère. « Je crois bien qu’il y a une trompette dans ta malle à
jouets. »".
-
"C’est quoi une malle à jouets ?" me lance Abdel, un mini
pouce au regard toujours ahuri.
- "Ben…une malle où tu mets tes jouets. Un endroit pour ranger".
Face à ses grands yeux aussi ronds qu’absents, je décide de reprendre. Avant
d’abaisser totalement mes yeux, je remarque quelques curages de nez profonds,
deux ou trois triffouillages de zizi et des regards tournés vers la fenêtre. Je
poursuis.
- "Trotro monte alors les escaliers, il va dans sa chambre pour
fouiller dans sa malle à jouets". Benjamin cherche à monter sur mes genoux, je
le fais redescendre avec toute la patience qu’il faut même si ma main se crispe
sur son avant-bras, prête à lui casser en deux comme du bois sec. "Tu t’assois,
par terre". Pour seule réponse, mon morveux renifle avec force faisant remonter
la coulée translucide qui formait déjà une rigole jusqu’à sa bouche.
- "Trotro cherche la malle", je tourne les pages et continue de
les montrer à tout le monde, la moitié des visages suit mon mouvement de bras.
-
"Il fouille et fouille encore. Il tombe enfin sur une
trompette, toute jaune".
-
"C’est quoi une trompette" me dit Armelle, assise en tailleur,
à l’apparence sage.
-
"C’est ce que je te montre, là. Regarde, je pointe mon doigt
à côté de l’objet, tu vois ?". Pas de réponse.
- "Trotro prend alors l’objet et le porte à sa bouche". Je me
sens dans l’obligation de mimer la chose tant le dessin semble obscur pour mes
profanes. Rires hystériques à nouveau.
-
"Seulement, aucun son ne sort de la trompette. Trotro souffle
et souffle encore. Rien".
-
"C’est cassé ?" me lance Raïssa.
- "Je ne sais pas, attends un peu la suite". Je tourne la page. "Trotro
regarde alors dans la trompette et que voit-il ?". Je relève la tête
histoire de créer un lien avec mon auditoire d’inconstants.
- "Du caca lance Maxime", le petit rigolo du groupe. Il se marre
comme une baleine, ses joues roses de cochon bien gras gigotent au rythme des
secousses qui parcourent son corps grassouillet.
- "Très drôle Maxime, on se calme". Forcément, le bon mot de mon
clown vient de déclencher l’hilarité générale. Certains éclatent de rire,
d’autres lancent des « Ahhh », « Beurk » en associant aux
mots, ou borborygmes, des grimaces tordant avec une virtuosité folle leur jeune
faciès.
-
"On se calme", je hausse le ton. "On se calme !". Les gosses
retrouvent un semblant de sérieux.
- "Trotro fouille dans la trompette et trouve…", je lève les
yeux une fois encore pour regarder mon assistance, moi qui pensais faire un
carton plein, scotcher mes morveux avec un suspense insoutenable, je constate
que l’indifférence plus que l’attente règne dans mes rangs indisciplinés.
"Trouve…une chaussette". Je montre l’album. De nouveau, rires hystériques. Même
ceux qui n’ont rien suivi rient de bon cœur, histoire de raccrocher les wagons
avec les copains.
- "C’est bon, c’est fini. Allez voir Nathalie et Joëlle". Mon
assemblé se disperse avec force et fracas, bousculades et micro altercations.
Bref, rien d’exceptionnel.
***
Depuis l’âge des idéaux à celui des premières
résignations, je n’ai eu de cesse de faire des compromis. Minimisant mes envies
à l’extrême, j’en suis arrivé à brader royalement ce à quoi je me destinais.
Amoureux fou des mots, l’enseignement
représentait pour moi cette grande autoroute à emprunter. Droit devant, des
œillères jusqu’au péage. Problème, un certain découragement m’a poussé à
réduire mes ambitions.
En dessous de prof il y a quoi ?
Instituteur, non, « professeurs des écoles ». C’est plus chic, plus
tendance. Valoriser par un néologisme une profession en manque de reconnaissance,
c’est tout le génie actuel.
Du coup, me voilà en milieu hostile. Entouré par
une grande majorité de femmes à l’esprit maternel ultra développé. Presque
dangereux. L’enfant, c’est leur graal, la crèche leur patrie. Elles ont ça dans
le sang.
Moi, bizarrement, un peu moins. Mais je me persuadais
qu’il ne fallait pas s’en faire, qu’on retombe toujours sur ses pattes dans la
vie, comme les chats. Qu’en fin de compte, l’homme est capable de trouver du
Bien dans le Mal, travestir une réalité pour la sublimer. J’y ai cru, au début.
Je m’enthousiasmais devant ces ouvrages de
littérature jeunesse sans génie, ces albums plats, ces récits concis. Moi qui
me passionnais pour la littérature, je veux dire celle de Jules Renard, de
Molière, de Céline, je me retrouvais à servir des productions me décrochant
péniblement un vibrato au niveau du cœur.
Pris dans un tel cursus scolaire, je me devais
de faire mine de m’intéresser à tout ce fatras, me montant la tête à force
d’analyses fumeuses pour brandir à la face du monde toute la prétention dont
suintait cette littérature. Porte-flambeau des petits maîtres.
Ce stage fut un véritable coup de massue. Deux
semaines chez les marmots de la grande section de maternelle. On ne peut pas
parler véritablement de calvaire, mais de vide.
Jamais je n’ai ressenti une telle sensation de néant.
Moi regardant la maîtresse tentant de canaliser
des gamins visiblement plus intéressés par les jouets que le propos, cherchant
à aider des enfants aux retards considérables, essuyant des conneries toutes
les cinq secondes comme un soldat américain sous les feux de l’ennemi en plein
débarquement sur une plage de Normandie. Je comprenais, dans la douleur, mon
erreur d’orientation.
Un après-midi, comme tant d’autres,
l’institutrice avait décidé de sortir sa classe dans le jardin de l’école. Une
sorte de bout de terre ridicule dans lequel poussait deux, trois radis et quelques
tomates. Face à cette misère idéalisée, je ne pouvais que décrocher un sourire
crispé.
Alors que nous nous apprêtions à nous rendre dans
notre Eden, un des enfants fit de la résistance. C’était le petit Olivier, un
gamin tout ce qu’il y a de plus lambda. Avec son pull vert, sa bouille énorme,
il restait assis sur sa chaise habituelle. Refusant de suivre le groupe
d’excités qui se dirigeait d’un bloc vers la sortie.
Je me dirigeai vers ce petit bonhomme avec une
assurance feinte. Le surplombant de ma taille de géant, il leva doucement les
yeux vers moi. Minuscule qu’il était, les fesses bien posées sur sa chaise de
lilliputien.
Il y avait une telle volonté de communiquer
dans son regard luisant que j’en étais presque ému. C’était un S.O.S qu’il me
lançait, un vrai monologue par télépathie. « Toi, tu me comprends,
tire-moi de là. Ne m’impose pas ces rituels à la con, je ne veux pas y aller.
Je veux retourner chez moi. »
Comme je te comprends petit bonhomme, comme je
te comprends. Je lui tendis la main pour qu’il me suive, j’étais suffisamment à
fleur de peau, trop d’émotivité dans son regard me chatouillait dangereusement
les glandes lacrymales. « Tu viens ? ».
Il ne bougea pas, continua à me fixer,
dodelinant légèrement de la tête comme le signe de protestation d’un condamné à
mort qui s’apprête à aller à l’échafaud. « Allez, viens ». Résigné,
il leva son petit bras pour déposer dans ma main velue ses doigts boudinés.
D’un pas incertain, nous nous dirigeâmes vers
notre plaie commune : le jardin de l’école, cette festivité de pacotille
qui consistait à jouer aux paysans. Durant notre lente traversée du couloir
conduisant à l’extérieur, je sentis la main de mon petit gars serrer
irrégulièrement la mienne.
Du coin de l’œil, je pus voir son corps non
formé se secouer de petits spasmes. Sans rien dire, je continuai mon travail de
bourreau. Arrivé au seuil de la porte, il me fallut un dernier effort pour
conduire Olivier sur l’herbe sèche du pré carré dédié au jardinage.
J’eus honte tout le reste de la journée d’avoir
obligé ce gosse à suivre le mouvement, bousculer son immobilité journalière par
le besoin d’activités frénétiques. Je ne m’étais jamais senti aussi proche de
quelqu’un depuis le début de cette longue formation. Ma décision était prise.
J’arrêtais tout. A peine
quelques mois plus tard, une nouvelle année scolaire commençant, je m’engageai
dans un cursus court et professionnalisant incluant un stage. Un argument de
poids pour l’étudiant attardé que j’étais, plus que jamais désireux de se
frotter à la réalité. Exit les joies de l’enseignement, je m’apprêtais à
pénétrer dans le monde soi-disant feutré des bibliothèques.
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