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Dans son livre La Culture du narcissisme, Lasch détaille, en passant parfois par l'Histoire, parfois par la sociologie (comme pour mieux nous montrer que la réalité ne s'aborde sérieusement que par une pluralité de moyens pour éviter justement le syndrome "grille de lecture" : du sociologue, de l'historien, voire grille de lecture idéologique et plus de méthode : féministe, etc.), le développement du narcissisme contemporain qu'il date, pour les États-Unis, à partir des années 70.
Ne plus avoir conscience de sa filiation avec le passé, ne plus s'inscrire dans une dynamique mais dans une jouissance immédiate, résolument tournée vers le "moi". Plus de projet collectif mais le désir de protéger sa petite santé, sa carrière.
C'est avec une telle approche, une rupture joyeuse, une dislocation du groupe sur l'autel du narcissisme nourri à la société de consommation (car on consomme pour soi), que la lutte moderne contre un système politico-économique dangereux (atlantiste, libéral économiquement, etc. pour le cas de la France et plus largement de la politique dominante de l'Union Européenne) se trouve anéantie. Chacun pour soi, chacun chez soi. On pourrait prolonger la pensée de Lasch en disant que, pour reprendre le titre du chapitre I, "l'invasion de la société par le moi" c'est également le terreau du "diviser pour régner".
Le citoyen n'est plus une partie d'un ensemble, il est une personne pensant d'abord à soi. Il se mure dans sa propre jouissance, comme politiquement il va se murer dans des clivages qui permettront au système critiqué de tenir.
Se refuser de penser trans-courants, refuser d'aller voir chez l'autre, de l'entendre, c'est se condamner à créer des forces de frappe faibles et sans danger. En son temps, le cercle Proudhon tenta justement de dépasser ces clivages pour trouver des points communs entre anarchistes et royalistes. Après tout, peu importe sa sensibilité politique, on ne peut avoir que du dégoût en regardant, aujourd'hui, comment des trusts financiers spéculent sur la dette des états comme Goldman Sachs avec la Grèce pour ne citer qu'un exemple.
La pensée de Lasch, même si elle concerne les États-Unis est autant valable pour la France. Au-delà de sa situation personnelle, Lasch analyse et critique un système, des tendances humaines et ces tendances voyagent.
"Le désastre qui menace, devenu une préoccupation quotidienne, est si banal et familier que personne ne prête plus guère attention aux moyens de l’éviter. Les gens s’intéressent plutôt à des stratégies de survie.
Ceux qui creusent des abris espèrent survivre en s’entourant des derniers produits de la technologie moderne. C’est l’idée opposée qui anime les communes établies à la campagne : se libérer d’une dépendance à l’égard de la technologie.
Ces deux stratégies reflètent la perte de toute espoir de changer la société, et même de la comprendre ; et c’est ce qui sous-tend également les cultes de l’expansion ou du « développement personnel ».
Après le tumulte politique des années 1960, les Américains se sont repliés vers des préoccupations purement personnelles. Ce qui comptait, c’était d’améliorer leur psychisme, s’immerger dans la sagesse d’Orient. Sans danger en tant que telles, ces activités promues au rang de plans d’action et enrubannées dans la rhétorique de l’authenticité et de la prise de conscience, traduisent un éloignement de la politique et une répudiation du passé récent.
Le film de Woody Allen, Sleeper, reflète avec exactitude l’ambiance des 70’s. Vivre dans l’instant est la passion dominante. Nous sommes en train de perdre le sens de la continuité historique, le sens d’appartenir à une succession de générations qui, nées dans le passé, s’étendent vers le futur.
Les religions du passé, même les plus détachées de ce monde, exprimaient un espoir de justice sociale et un sens de la continuité avec les générations antérieures. Or, l’absence de ces valeurs caractérise la mentalité de survie des 70’s.
L’atmosphère actuelle n’est pas religieuse mais thérapeutique. Ce que les gens cherchent avec ardeur aujourd’hui, ce n’est pas le salut personnel, encore moins le retour d’un âge d’or antérieur, mais la santé, la sécurité psychique."
Ceux qui creusent des abris espèrent survivre en s’entourant des derniers produits de la technologie moderne. C’est l’idée opposée qui anime les communes établies à la campagne : se libérer d’une dépendance à l’égard de la technologie.
Ces deux stratégies reflètent la perte de toute espoir de changer la société, et même de la comprendre ; et c’est ce qui sous-tend également les cultes de l’expansion ou du « développement personnel ».
Après le tumulte politique des années 1960, les Américains se sont repliés vers des préoccupations purement personnelles. Ce qui comptait, c’était d’améliorer leur psychisme, s’immerger dans la sagesse d’Orient. Sans danger en tant que telles, ces activités promues au rang de plans d’action et enrubannées dans la rhétorique de l’authenticité et de la prise de conscience, traduisent un éloignement de la politique et une répudiation du passé récent.
Le film de Woody Allen, Sleeper, reflète avec exactitude l’ambiance des 70’s. Vivre dans l’instant est la passion dominante. Nous sommes en train de perdre le sens de la continuité historique, le sens d’appartenir à une succession de générations qui, nées dans le passé, s’étendent vers le futur.
Les religions du passé, même les plus détachées de ce monde, exprimaient un espoir de justice sociale et un sens de la continuité avec les générations antérieures. Or, l’absence de ces valeurs caractérise la mentalité de survie des 70’s.
L’atmosphère actuelle n’est pas religieuse mais thérapeutique. Ce que les gens cherchent avec ardeur aujourd’hui, ce n’est pas le salut personnel, encore moins le retour d’un âge d’or antérieur, mais la santé, la sécurité psychique."
Lasch, Christopher, La Culture du narcissisme
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