Faire de la bd-documentaire est un exercice pour le moins périlleux. Le documentaire requiert des développements rigoureux qui passent, a priori, par de longues séquences textuelles. Bref, l'antithèse même de la bande dessinée qui est un art mixte où le texte ne doit pas dominer sur l'image.
J'ai souvent lu des tentatives ratées sur le sujet. Des commandes de tel ou tel ministère afin d'effectuer tel ou tel devoir de mémoire. Les bonnes intentions ne font pas les bonnes oeuvres, il faut encore trouver un bon dessinateur et un scénariste sachant habillement mener sa narration.
C'est exactement ce que j'ai retrouvé dans l'excellente bande dessinée : Dans l'atelier de Fournier de Nicoby et Joub. Sous prétexte de fêter les 75 ans de Spirou, ce qui est un bon prétexte mais encore une fois n'est pas suffisant pour mériter l'achat, les deux compère se sont collés à une biographie/documentaire tournant autour de Jean-Claude Fournier, dessinateur un peu oublié aujourd'hui.
La force de cette bande dessinée, c'est justement de ne pas oublier qu'il s'agit d'une bande dessinée. La narration se veut fluide, la lecture est rapide, les moments graphiques ne manquent pas. Il serait trop facile, et fastidieux pour le lecteur, de coller des tartines de texte illustrées avec plus ou moins d'intelligence. La narration est donc à la hauteur comme l'idée directrice qui sert de fil rouge à Nicoby et Joub. C'est d'ailleurs ce fil rouge qui constamment dynamise l'action et permet une conduite du récit joyeusement dynamique et didactique.
En fait, Nicoby et Joub se mettent en scène. Les deux hommes se rendent en Bretagne pour rencontrer Jean-Claude Fournier afin d'en savoir plus sur sa vie dans le but de créer une bande dessinée. La mise en abyme est simple mais efficace, on suit ce périple qui va rapidement devenir un échange oral où les tirades de Fournier permettront de s'étaler sur tel ou tel aspect de son existence.
Les hommes sont en mouvement, perpétuellement. Ils prennent la voiture, s'arrêtent un temps pour manger mais déambulent à nouveau dans le port avant de revenir jusqu'à Fournier pour discuter à nouveau et repartir. Point d'enchaînements pénibles de gros plans au coin du feu, Nicoby et Joub arrivent à donner au lecteur une sensation de vitesse et d'empressement. "On n'est que de passage" semblent-ils nous dire.
Malgré cette rapidité de la narration, insufflée par le fil rouge évoqué plus haut, on en apprend beaucoup sur Fournier. Reprenant à 24 ans la saga Spirou, il a soutenu la série pendant 10 ans, prenant la difficile succession de Franquin, admiré de tous. Fournier, c'est également Bizu, petit personnage dont l'inspiration principale reste la Bretagne et ses mythes.
Jouant du collage et du photomontage, Nicoby et Joub insèrent au fil du récit, et non dans des annexes dantesques et immangeables, des éléments d'époque comme des calques de Franquin, des épreuves de Fournier, des affiches réalisées pour le festival de Saint-Malo : Quai des bulles, etc.
Au-delà de l'envie de lire Fournier l'album achevé, l'objectif est rempli, Nicoby et Joub nous poussent à réfléchir à la difficile condition de dessinateur. Un dessinateur, âgé, peut décider d'arrêter (Gotlib) ou poursuivre dans la même voie, insatiable travailler de fond (Gos continuant avec son fils sa série Le Scrameustache). Capitaliser sur ses oeuvres antérieures et arrêter de produire, ou continuer sur sa voie sans se remettre en question. Fournier est un cas atypique puisqu'il a décidé, à plus de 60 ans, de "commencer une nouvelle carrière" comme il aime à le dire.
Les Chevaux de vent
Avec sa série Les Chevaux de vent, ce n'est pas simplement une nouvelle série qu'il attaqua mais un nouveau cap. Fin des "gros nez", ces dessins humoristiques aux proportions tronquées, début du dessin réaliste avec coloration directe (aquarelle). Se remettre en cause à un tel âge, se remettre au travail et garder l'esprit d'un débutant fougueux, il s'agit bien d'une voie difficile mais ô combien louable. Même si l'on n'apprécie pas le travail de Fournier sur Spirou, ce qui est globalement mon cas (Fournier est un graphiste magnifique, audacieux (crayonné, colorisation unique...), mais un scénariste détestable), on ne peut qu'être admiratif de cette remise en question à un âge si avancé. Il s'agit là d'un esprit jeune, comme quoi la jeunesse ça n'a rien à voir avec l'âge.
Dans l'atelier de Fournier, de Nicoby et Joub (Dupuis)
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