mardi 19 février 2013

Hugo Pratt et le fascisme

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Il est de bon ton aujourd'hui de juger le passé avec les lunettes du présent. De faire le procès de tel personnage sous couvert d'une idéologie en odeur de sainteté à l'époque où l'on vit. Le risque est nul, le procédé intellectuel est douteux. D'une part, parce que juger le passé en terme d'errements ou d'égarements, voire d'erreurs, c'est prendre le risque d'être jugé à son tour. De là, une question : en quoi l'idéologie que je défends, consciemment ou non, via ma prise de position est-elle juste et bonne ? Contrairement à celle que je dénigre, celle du passé, qui serait odieuse ? 


La seule chose qui fonde cette légitimité que je m'octroie, c'est moi-même. Il n'y a dans le jugement du passé avec le regard du présent rien d'autre que l'expression de ma subjectivité. Je ne rétablis pas la vérité, j'établis une grille de lecture.

L'autre problème qui consiste à juger le passé avec la vision du présent, c'est de faire fi du contexte. Toute idée se formule à un moment donné, via un modèle de société, une dominante intellectuelle. Cette époque pouvait juger comme bonne telle idée, telle idéologie (ou plus que bonne, cette idéologie pouvait être à la mode).

C'est pourquoi il convient, encore aujourd'hui, d'être méfiant par rapport à cette relecture permanente du passé, ce procès constat des idées anciennes. D'ailleurs, le plus souvent, en creusant, on peut se rendre compte à quel point la situation est plus complexe. Pourquoi ? Parce que les témoignages de gens d'époques anciennes sont souvent plus pertinents que les juges du futur. Parce que ces gens ont vécu des choses que les avocats zélès ne vivront jamais.

J'ai trouvé dans le livre Le Désir d'être inutile, qui est un livre d'entretiens d'Hugo Pratt (dessinateur de Corto Maltese), une superbe illustration de cette méfiance à avoir du procès perpétuel. Une société saine, c'est une société qui accepte son passé, les différentes facettes de ce passé. Tel mouvement fut en vogue, telle idée fut à la mode. La société évolue, se construit via ces évolutions. Connaissons le passé en cherchant à nous débarrasser de nos idéologies actuelles, regardons-le sans jugement, avec le souci de la connaissance. Nous ne pourrons en sortir que meilleurs et plus tolérants.

(L'extrait porte sur une accusation de fasciste envers Hugo Pratt)

"Cela ne me touche pas, et j'ai d'ailleurs l'impression que les gens qui m'accusent de cette façon ont en fait des problèmes personnels vis-à-vis de ces questions. C'est vrai que je viens d'une famille fasciste, mais je n'en ressens aucune gêne, je ne l'ai jamais caché. Et dans mon enfance, à part quelques milliers de dissidents, tous les Italiens étaient plus ou moins obligés d'adhérer au fascisme - même les syndicats, pour pouvoir exister, devaient s'en réclamer. Alors je ne vais pas avoir honte parce qu'à sept ans avec une chemise noire et un foulard bleu, je défilais place Saint-Marc derrière cent tambours qui jouaient à l'unisson. Je ne pouvais pas alors avoir conscience de la bouffonnerie de la situation. Par la suite, on s'est aperçu qu'on avait été manipulés, que certains d'entre nous étaient morts pour rien. Il y en a, bien sûr, qui ont retourné leur chemise fasciste pour être "partisans" au bon moment, alors que ceux qui se sont battus à fond sont souvent morts, mais sans se renier.

Il est facile après coup de donner des leçons, alors que dans les années trente l'impérialisme allait de soi : le colonialisme anglais applaudissait un film comme Les Trois Lanciers du Bengale et l'Empire colonial français était à son apogée, s'autocélébrant en toute bonne conscience. Et pour l'enfant que j'étais, le fascisme était une ouverture sur le monde extérieur, il m'a en particulier aidé à couper le cordon ombilical avec ma mère. Le monde fasciste m'a donné la possibilité de sortir de ma famille, d'avoir des copains, de rencontrer des filles, puisque le fascisme, dans un but démographique, avait décidé de favoriser les relations entre les jeunes des deux sexes. Je suis d'ailleurs moi-même un résultat de ces campagnes natalistes. Non, je ne vais pas aller jusqu'à dire que je dois la vie à Mussolini !"

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jeudi 14 février 2013

Etienne de La Boétie et l'habitude

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Même si les humanistes du 16ème siècle ne furent pas de grands critiques du pouvoir politique, ils tentèrent plus de moraliser les princes et par conséquence la politique menée, on relève l'existence d’Étienne de La Boétie dans le rang des insurgés.

En effet, son court essai, Discours de la servitude volontaire, est une charge virulente envers le pouvoir mais, plus encore, et c'est bien cela qui lui donne un caractère universel, une peinture juste et puissante de l'homme. De l'homme en société, de l'homme face au pouvoir.



C'est en constatant la justesse d'écrits datant de plusieurs siècles que l'on reconnait la force de la littérature et du monde des idées. La Boétie, à la manière d'un moraliste du XVIIème siècle qui part du particulier pour aller au général (Les Caractères de La Bruyère, Les Fables de La Fontaine, etc.), analyse et critique des traits de caractère du genre humain. Ces traits sont ceux de la servitude, de l'homme qui baisse les bras et accepte le joug des puissants.

La Boétie fustige l'habitude car c'est elle qui amène l'homme a tout accepter. Cette "seconde nature" comme dirait Pascal est en effet l'ennemi de l'homme et l'allié des puissants. Que l'on pense à aujourd'hui, l'individu lambda accepte avec joie l'habitude d'une vie réglée, absolument innocente, il l'accepte et permet ainsi la stabilité d'un système même si ce dernier est verrolé.

L'habitude, c'est celle de se poser devant sa télévision la semaine pour regarder une énième connerie, c'est accepter de ne pas réfléchir, de ne pas mettre à mal ses capacités intellectuelles; c'est refuser de se dépasser, de transcender sa condition par l'esprit, de décortiquer l'actualité pour mieux l'avaler tout rond. En clair, c'est cette pensée pantouflarde qui consiste à ne rien faire, à accepter de marcher dans les clous. Aller voter tranquillement, en alternant à chaque fois bien entendu, comme si le pouvoir politique résidait encore dans les mains des partis, comme si la question politique se restreignait aux partis nationaux.

L'homme qui vit pleinement dans l'habitude est l'allié du pouvoir car il ne pense pas, il se fond dans le moule, il ne s'insurge pas, il regarde sa télévision et parfois il vote, ou il fait grève. Même ses sursauts sont contrôlés. Jamais il ne déchirera sa carte d'électeur, jamais il n'essaiera de modifier sa vie, bien trop tranquille et flemmarde. L'ennemi de la liberté, c'est l'habitude ; l'allié du pouvoir, c'est l'habitude. La Boétie le disait déjà en son temps.

"L'habitude qui, en toutes choses, exerce un si grand empire sur toutes nos actions, a surtout le pouvoir de nous apprendre à servir : c'est elle qui à la longue (comme on nous le raconte de Mithridate qui finit par s'habituer au poison) parvient à nous faire avaler, sans répugnance, l'amer venin de la servitude." 

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jeudi 7 février 2013

Rabelais et le torche-cul

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Certains peuvent avoir de la littérature une image étriquée. L'image d'un art sérieux, disqualifiant tout rire, toute volonté de régression, etc. En étudiant l'histoire littéraire française, on comprend à quel point le rapport de la littérature au régressif a évolué au fil des siècles.

La littérature n'est pas un art sérieux, c'est un art qui évolue. Les humanistes n'hésitèrent pas (Rabelais et d'autres) en leur époque à mélanger les niveaux de style, à mêler les tonalités. On pouvait très bien passer, dans un même texte, ou dans l’œuvre d'un même auteur, de la réflexion la plus sérieuse à la boutade la plus scatologique. 


Le classicisme, ou plutôt certains théoriciens du XVIIème siècle, verra d'un mauvais œil ce mélange des genres. Rabelais sera décrié comme un "philosophe ivre" par Voltaire dans Lettres philosophiques, Malherbe condamnera cette transgression de la bienséance tant aimée par le classicisme (ne pas choquer, vision pudique, pour ne pas dire pudibonde, de la littérature).

Pourtant, ce mélange propre aux humanistes de la Renaissance n'a rien de choquant en soi. Un romancier comme Rabelais pouvait passer, en effet, d'un propos très régressif à un développement ingénieux et intelligent sous la forme d'une parabole, d'une lettre didactique, etc. En lisant les poètes de l'antiquité, comme Catulle, on se rend compte à quel point le régressif est un élément potentiel de la littérature. Ou, devrais-je dire, d'une littérature débarrassée de la lourdeur des interdits chrétiens.

Catulle peut disserter sur le trou du cul, cela ne l'empêche pas d'écrire aussi des poèmes d'une grande tendresse. Rabelais peut écrire sur le torche-cul de Gargantua et rédiger également la lettre de Gargantua sur l'éducation. Ces deux pôles ne sont pas incompatibles, ils sont des éléments de la vie. Une vie est faite de hauts et de bas, de vulgarité et de noblesse. C'est, façonné consciemment ou non, par le christianisme que nous réagissons avec des rougeurs sur les joues lorsque nous lisons "fils de pute" chez Chrétiens de Troye ou "merde" chez Rabelais.

Ces auteurs étaient croyants, respectaient la religion chrétienne, mais ne se soumettaient pas intégralement à cette logique aride de disqualification des ridicules de la vie. Ce sont ces ridicules qui permettent à l'homme de constater également sa grandeur. Le rire n'empêche pas la réflexion, la régression n'empêche pas la création. L'homme est un animal multiple qui doit se réconcilier avec ses différentes facettes car c'est cette complexité qui le rend attachant et, au final, profond. 

L'extrait qui suit illustre cette jonction que tentèrent certains auteurs entre un héritage antique et chrétien. Autrement dit, une liberté de ton antique et des valeurs chrétiennes (valeurs nécessaires pour créer un ordre social, car la liberté de chacun nécessite des freins pour amener une communauté à vivre "en bonne intelligence"). L'extrait concerne le fameux torche-cul de Gargantua. Rabelais s'amuse avec un sujet aussi trivial. Il veut autant provoquer le rire, que construire un dialogue ciselé, jouer sur les figures d'accumulation (énumération...) ou les formes littéraires (rondeau...). Ce qui montre que l'on peut créer de la littérature à partir de sujets triviaux.

"Sur la fin de la cinquième année, Grandgousier, retour de la défaite des Canarriens, vint voir son fils Gargantua. Alors il fut saisi de toute la joie concevable chez un tel père voyant qu'il avait un tel fils et, tout en l'embrassant et en l'étreignant, il lui posait toutes sortes de petites questions puériles. Et il but à qui mieux mieux avec lui et avec ses gouvernantes auxquelles il demandait avec grand intérêt si, entre autres choses, elles l'avaient tenu propre et net. Ce à quoi Gargantua répondit qu'il s'y était pris de telle façon qu'il n'y avait pas dans tout le pays un garçon qui fût plus propre que lui.

"Comment cela ? dit Grandgousier.

- J'ai découvert, répondit Gargantua, à la suite de longues et minutieuses recherches, un moyen de me torcher le cul. C'est le plus seigneurial, le plus excellent et le plus efficace qu'on ait jamais vu.
- Quel est-il ? dit Grandgousier.
- C'est ce que je vais vous raconter à présent, dit Gargantua. Une fois, je me suis torché avec le cache-nez de velours d'une demoiselle, ce que je trouvai bon, vu que sa douceur soyeuse me procura une bien grande volupté au fondement ;
une autre fois avec un chaperon de la même et le résultat fut identique ;
une autre fois avec un cache-col ;
une autre fois avec des cache-oreilles de satin de couleur vive, mais les dorures d'un tas de saloperies de perlettes qui l'ornaient m'écorchèrent tout le derrière. Que le feu Saint-Antoine brûle le trou du cul à l'orfèvre qui les a faites et à la demoiselle qui les portait.

"Ce mal me passa lorsque je me torchai avec un bonnet de page, bien emplumé à la Suisse.

"Puis, alors que je fientais derrière un buisson, je trouvai un chat de mars et m'en torchai, mais ses griffes m'ulcérèrent tout le périnée.

"Ce dont je me guéris le lendemain en me torchant avec les gants de ma mère, bien parfumés de berga-motte.

"Puis je me torchai avec de la sauge, du fenouil, de l'aneth, de la marjolaine, des roses, des feuilles de courges, de choux, de bettes, de vigne, de guimauve, de bouillon-blanc (c'est l'écarlate au cul), de laitue et des feuilles d'épinards (tout ça m'a fait une belle jambe !), avec de la mercuriale, de la persicaire, des orties, de la consoude, mais j'en caguai du sang comme un Lombard, ce dont je fus guéri en me torchant avec ma braguette.

"Puis je me torchai avec les draps, les couvertures, les rideaux, avec un coussin, une carpette, un tapis de jeu, un torchon, une serviette, un mouchoir, un peignoir ; tout cela me procura plus de plaisir que n'en ont les galeux quand on les étrille.

- C'est bien, dit Grandgousier, mais quel torche-cul trouvas-tu le meilleur ?
- J'y arrivais, dit Gargantua ; vous en saurez bientôt le fin mot. Je me torchai avec du foin, de la paille, de la bauduffe, de la bourre, de la laine, du papier. Mais
Toujours laisse aux couilles une amorce
Qui son cul sale de papier torche.
- Quoi ! dit Grandgousier, mon petit couillon, t'attaches-tu au pot, vu que tu fais déjà des vers ?
- Oui-da, mon roi, répondit Gargantua, je rime tant et plus et en rimant souvent je m'enrhume. Ecoutez ce que disent aux fienteurs les murs de nos cabinets :
Chieur,
Foireux
Péteur,
Breneux
Ton lard fécal
En cavale
S'étale
Sur nous.
Répugnant,
Emmerdant,
Dégouttant,
Le feu saint Antoine puisse te rôtir
Si tous
Tes trous
Béants
Tu ne torches avant ton départ.

"En voulez-vous un peu plus ?
- Oui-da, répondit Grandgousier.
- Alors, dit Gargantua :

RONDEAU
En chiant l'autre jour j'ai flairé
L'impôt que mon cul réclamait :
J'espérais un autre bouquet.
Je fus bel et bien empesté.
Oh ! si l'on m'avait amené
Cette fille que j'attendais
En chiant,
J'aurais su lui accommoder
Son trou d'urine en bon goret ;
Pendant ce temps ses doigts auraient
Mon trou de merde équipé,
En chiant.

"Dites tout de suite que je n'y connais rien ! Par la mère Dieu, ce n'est pas moi qui les ai composés, mais les ayant entendu réciter à ma grand-mère que vous voyez ici, je les ai retenus en la gibecière de ma mémoire.

- Revenons, dit Grandgousier, à notre propos.
- Lequel, dit Gargantua, chier ?
- Non, dit Grandgousier, mais se torcher le cul.
- Mais, dit Gargantua, voulez-vous payer une barrique de vin breton si je vous dame le pion à ce propos ?
- Oui, assurément, dit Grandgousier.
- Il n'est, dit Gargantua, pas besoin de se torcher le cul s'il n'y a pas de saletés. De saletés, il ne peut y en avoir si l'on n'a pas chié. Il nous faut donc chier avant que de nous torcher le cul !
- Oh ! dit Grandgousier, que tu es plein de bon sens, mon petit bonhomme ; un de ces jours prochains, je te ferai passer docteur en gai savoir, pardieu ! Car tu as de la raison plus que tu n'as d'années. Allez, je t'en prie, poursuis ce propos torcheculatif. Et par ma barbe, au lieu d'une barrique, c'est cinquante feuillettes que tu auras, je veux dire des feuillettes de ce bon vin breton qui ne vient d'ailleurs pas en Bretagne, mais dans ce bon pays de Véron.

- Après, dit Gargantua, je me torchai avec un couvre-chef, un oreiller, une pantoufle, une gibecière, un panier (mais quel peu agréable torche-cul !), puis avec un chapeau. Remarquez que parmi les chapeaux, les uns sont de feutre rasé, d'autres à poil, d'autres de velours, d'autres de taffetas. Le meilleur d'entre tous, c'est celui à poil, car il absterge excellemment la matière fécale. Puis je me torchai avec une poule, un coq, un poulet, la peau d'un veau, un lièvre, un pigeon, un cormoran, un sac d'avocat, une cagoule, une coiffe, un leurre.

"Mais pour conclure, je dis et je maintiens qu'il n'y a pas de meilleur torche-cul qu'un oison bien duveteux, pourvu qu'on lui tienne la tête entre les jambes. Croyez-m'en sur l'honneur, vous ressentez au trou du cul une volupté mirifique, tant à cause de la douceur de ce duvet qu'à cause de la bonne chaleur de l'oison qui se communique facilement du boyau du cul et des autres intestins jusqu'à se transmettre à la région du coeur et à celle du cerveau. Ne croyez pas que la béatitude des héros et des demi-dieux qui sont aux Champs Elysées tienne à leur asphodèle, à leur ambroisie ou à leur nectar comme disent les vieilles de par ici. Elle tient, selon mon opinion, à ce qu'ils se torchent le cul avec un oison ; c'est aussi l'opinion de Maître Jean d'Ecosse.
"

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