jeudi 31 mars 2011

Extrait - Michaux et l'Inde

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Redirection en htm Henri Michaux, belge d’origine, est connu pour sa poésie. Cependant, c’est oublier bien vite ses carnets de voyages comme le succulent Un Barbare en Asie publié en 1933. Un carnet étonnant tant le ton est particulier. Michaux décrit les peuples asiatiques qu’il rencontre. L’Inde, par exemple, est pour lui l’occasion de disserter sur les mœurs de ses habitants. Le ton est acerbe mais jamais directe, il conserve cette distance du dandy, de l’homme qui foule les kilomètres avec le regard malicieux.


Néanmoins, les propos de Michaux n’ont rien d’inutiles ou de superficiels. Bien souvent, avec ses paragraphes lapidaires, son sens de la formule, de la phrase joliment complexe, sa façon à lui de démolir, il touche juste. Lorsqu’il parle du théâtre local, des habitudes culturelles/culinaires de tel ou tel peuple. Bien souvent également, il dit ce que l’on n’ose avouer, nous occidentaux. L’extrait ci-dessous, provenant donc d’Un Barbare en Asie, évoque la langueur des Indiens avec humour et pertinence.



« S’asseyant où ça leur plaît ; fatigués de porter un panier, le déposant à terre et s’y vautrant ; rencontrant un coiffeur dans la rue, ou à un carrefour, « Tiens, si on se faisait raser !... » et se faisant raser, là, sur place, en pleine rue, indifférents au remuement, assis partout sauf où on s’y attend sur les chemins, devant les bancs, et dans leur boutique sur des rayons de marchandise, dans l’herbe, en plein soleil (il se nourrit de soleil) ou à l’ombre (il se nourrit de l’ombre), ou à la séparation de l’ombre et du soleil, tenant une conversation entre les fleurs des parcs, ou juste à côté OU CONTRE un banc (sait-on jamais où un chat peut s’asseoir ?), ainsi en va-t-il de l’Indien. Ah, ces pelouses dévastées de Calcutta ! Pas un Anglais ne regarde ce gazon sans frémir intérieurement. Mais aucune police, aucune artillerie ne les empêcherait de s’asseoir où ça leur convient. ».

mardi 29 mars 2011

Extrait - Philippe Muray et le festif

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Grâce au récent spectacle de Fabrice Luchini au théâtre de l’atelier, à Paris, le « grand public » découvre ou redécouvre la prose du regretté Philippe Muray. Pourfendeur de l’homo festivus, ou du « tout festif », anti-moderne par excellence, l’essayiste français savait, avec un style ciselé bien que maniéré parfois, un peu tricoteur sur les bords dans ses développements, s’attaquer aux vaches sacrées de son temps. La gauche incapable de régler les vrais problèmes économiques, les politiciens de face comme Ségolène Royal, la misère amoureuse de nos contemporaines, etc.

Relire Muray, c’est tirer à boulets rouges sur nos acquis, remettre en marche un cerveau larvé, ramolli par des certitudes construites par le temps et des mécaniques culturo-politiciennes. Bref, à la manière d’un Descartes mettant entre parenthèses son savoir afin d’accoucher du cogito ergo sum, mettre en suspens ces idées que l’on considère comme la normalité. L’extrait ci-dessous est tiré de son ouvrage, une vraie somme, Après l’Histoire. Quelques lignes pour résumer la vision de Muray à propos du festif.



« Le festif est une fiction sans antagoniste. Bientôt, il n’y aura même plus de langage pour le définir parce que le langage tout entier sera passé de son côté ; Il n’est déjà presque plus possible de raisonner autrement qu’en termes festifs. Même les plus sombres événements s’en trouvent modifiés. Il n’y a déjà pratiquement plus de catastrophes, ou d’accidents, que du loisir : des affaires de camping tragique, des fêtes en mer qui tournent mal et des histoires de neige qui tue. Et lorsque soixante-huit personnes se font massacrer à Louxor, tout ce que déclenche cette boucherie ce sont des réflexions sur la chute du tourisme en Egypte. Parce qu’il n’y a plus de personnes ; et que l’on ne peut déjà plus, où que ce soit, massacrer que des touristes. ».

jeudi 24 mars 2011

Extrait - Jules Renard et le talent

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Jules Renard reste un auteur atypique, à la charnière du XIXème et du XXème siècle. Homme de théâtre, mais également romancier caustique, notre homme avait le sens de la formule. Capable d’étriller à peu près tout le monde en quelques mots. Connu pour Poil de Carotte, c’est pourtant du côté de L’Ecornifleur qu’on trouvera tout le génie du bonhomme. Récit décrivant la lente, et pénible, histoire d’amour entre une vieille bourgeoisie éprise de littérature et un jeune savant, tendance fainéant.

Pourtant, l’extrait proposé aujourd’hui concerne le fameux Journal de Jules Renard. Difficile à lire du fait d’un éclatement total de toute chronologie, de toute structure un peu ordonnée, cette somme n’est que la réunion de fragments, considérations lapidaires portant bien souvent sur la société, les écrivains, les hommes plus généralement. Un temps, Renard se moque d’Alfred Jarry et de son Ubu Roi ; plus tard, il poursuit en comblant un vide (la page blanche) par le vide (la description de la mer, vue de sa fenêtre). Dans l’extrait ci-dessous, le romancier nous parle du talent. Une conception proche d’un Nietzsche, « le talent, c’est le travail ». Exit l’inspiration lyrique héritée de l’adolescence. Pas de muses, rien que de la sueur.

Jules Renard ou la littérature au vitriol


« Le talent est une question de quantité. Le talent, ce n’est pas d’écrire une page : c’est d’en écrire 300. Il n’est pas de roman qu’une intelligence ordinaire ne puisse concevoir, pas une phrase si belle qu’elle soit qu’un débutant ne puisse construire. Reste la plume à soulever, l’action de régler son papier, de patiemment l’emplir. Les forts n’hésitent pas. Ils s’attablent, ils sueront. Ils iront au bout. Ils épuiseront l’encre, ils useront le papier. Cela seul les différencie, les hommes de talent, des lâches qui ne commenceront jamais. En littérature, il n’y a que des bœufs. Les génies sont les plus gros, ceux qui peinent dix-huit heures par jour d’une manière infatigable. La gloire est un effort constant. »

mardi 22 mars 2011

Extrait - Mishima et les livres

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Yukio Mishima reste indéniablement un des grands romanciers japonais de la seconde moitié du XXème siècle. Sa tétralogie, La Mer de la fertilité, était la preuve que l’on pouvait encore, malgré des imperfections, des longueurs, à cette époque, entreprendre de grandes entreprises littéraires. A la manière d’un Balzac avec sa Comédie Humaine ou d’un Zola avec la saga des Rougon-Macquart un siècle avant.


Peu de temps avant sa mort spectaculaire, un seppuku qui suivit un putsch plus symbolique que réellement efficace, en novembre 1970 Yukio Mishima rédigeait un court essai dans lequel le romancier japonais se référait au Hagakure. Ce livre rédigé au XVIIIème siècle par un samouraï développait des principes de vie, référence ultime pour l’auteur du Pavillon d’or. Dans Le Japon moderne et l’éthique samouraï, Mishima s’en prend au Japon pacifique, lui qui revendiquait un héritage brutal, on est loin des cerisiers fleuris. Seulement, l’extrait que je vous propose aujourd’hui ne parle pas du Japon mais des livres et de la jeunesse. Un court paragraphe d’une grande justesse où Mishima distille une fois de plus, avec élégance, sa pensée.


Mishima ou la virilité à la japonaise

« L’amitié et la lecture sont les compagnes spirituelles de la jeunesse. Les amis ont des corps de chair et de sang et changent incessamment. Les enthousiasmes de tel ou tel âge retombent avec le temps et laissent place à d’autres que l’on partage avec un nouvel ami. En un sens, il en va de même des livres. Nul doute que tel livre qui a inspiré notre enfance, repris et relu des années plus tard, n’exercera plus sa séduction aiguë et semblera le cadavre de celui dont nous gardons le souvenir. Mais les amis et les livres présentent cette différence essentielle que les premiers changent et non les seconds. Même abandonné à la poussière sur un coin de rayonnage, le livre persiste opiniâtrement dans son style et dans sa philosophie. L’accepter ou le rejeter, le lire ou pas, ne modifient le livre que dans la relation que nous avons avec lui, et c’est tout . »

vendredi 18 mars 2011

Extrait - Roland Barthes et la miniature

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Redirection en htm Roland Barthes est un linguiste fascinant. Fascinant car ne cherchant jamais à s'enfermer dans des recherches trop calfeutrées, trop "universitaires" si l'on prend le mot dans son sens le plus négatif. Par la linguistique, par le signe de manière générale, Barthes s'efforce de comprendre une culture, une société. Cette spécificité qu'il met constamment en balance avec sa propre "identité". C'est ce qu'il s'efforce de faire dans son livre phare, L'Empire des signes, ouvrage dans lequel Barthes analyse la culture nippone dans ses détails les plus infimes. Du théâtre à l'architecture des rues en passant par les jardins, chaque élément est porteur de sens.

Le passage qui suit s'attarde sur la miniature, certes ce n'est pas le passage le plus représentatif de ces fameuses comparaison entre les cultures mais il a le mérite de bien condenser cette sensibilité et ce langage, fluide et riche, que le regretté Roland Barthes jetait sur des choses a priori insignifiantes. Un penseur qui fait décidément encore de l'ombre à bien des penseurs actuels.



« La miniature ne vient pas de la taille, mais d’une sorte de précision que la chose met à se délimiter, à s’arrêter, à finir. Cette précision n’a rien de raisonnable ou de moral : la chose n’est pas nette d’une façon puritaine (par propreté, franchise, ou objectivité), mais plutôt par un supplément hallucinatoire (analogue à la vision issue du haschisch, au dire de Baudelaire) ou par une coupure qui ôte à l’objet le panache du sens et retire à sa présence, à sa position dans le monde, toute tergiversation. Cependant ce cadre est invisible : la chose japonaise n’est pas cernée, enluminée ; elle n’est pas formée d’un contour fort, d’un dessin, que viendraient « remplir » la couleur, l’ombre, la touche ; autour d’elle, il y a : rien, un espace vide qui la rend mate (et donc à nos yeux : réduite, diminuée, petite). »

dimanche 13 mars 2011

Extrait - Julien Gracq et les écrivains

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Redirection en htm Nouveau billet du bréviaire, décidément on n'arrête plus ces derniers jours. Au programme, un grand classique du pamphlet littéraire. Certes, Julien Gracq, car c'est de lui dont on parlera, n'est pas uniquement l'auteur de La Littérature à l'estomac, le livre dont on va également parler. Néanmoins, ce petit pamphlet reste encore aujourd'hui d'une telle actualité, d'une telle justesse, le propos toujours servi par un style ciselé, on ne peut qu'admirer ce petit ouvrage.

Il est vrai que Gracq tricote un peu, un peu trop, et que ses analyses se perdent dans cette volonté de faire trop beau mais passons et admirons ci-dessous une des saillies de cet écrivain si particulier. Cet écrivain qui ne voulait, comme seule et unique médaille, celle du mérite agricole puisque le bonhomme cultivait un petit lopin de terre. Voilà une anecdote qui en dit long sur la distance voulue entre lui et ce microcosme mondain des écrivains parisiens. On respire et on transpose.

Julien Gracq, l'écrivain qui se prenait pour un paysan

« Car l’écrivain français se donne à lui-même l’impression d’exister bien moins dans la mesure où on le lit que dans la mesure où « on en parle ». Il lui faut sans cesse relancer la presse prompte à s’endormir (et moins la critique encore que les échos, qui sont la récompense suprême) il faut tenir les langues en haleine. Un anxieux, un essoufflé « Je suis là !… j’y suis – j’y suis toujours ! » est parfois ce qui s’exprime de plus pathétique, pour l’œil un prévenu, au travers des pages de tel romancier en renom auxquelles on se prend distraitement à souhaiter tout à coup que la poussière soit légère : ce n’est rien toutefois, ou du moins ce n’est pas forcément qu’il n’ait plus rien à nous dire ; mais c’est son livre annuel : il s’agit à nouveau de donner le branle, d’empêcher qu’il y ait prescription. »